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La politesse est la fleur de l’humanité. Qui n’est pas assez poli n’est pas assez humain.

On a rompu les chemins qui menaient au ciel et que tout le monde suivait ; il faut se faire des échelles.

Il est tel auteur qui commence par faire sonner son style, pour qu’on puisse dire de lui : Il a de l’or.

Le poli et le fini sont au style ce que le vernis est aux tableaux ; ils le conservent, le font durer, l’éternisent en quelque sorte.

La force n’est pas l’énergie ; quelques auteurs ont plus de muscles que de talent.

Chacun est sa Parque à lui-même, et se file son avenir.

Platon se perd dans le vide ; mais on voit le jeu de ses ailes ; on en entend le bruit.

En élevant un enfant, il faut songer à sa vieillesse.

En morale, pour atteindre le milieu, il faut aspirer au faîte.

On n’a pas une religion, quand on a seulement de pieuses inclinations ; comme on n’a pas de patrie, quand on a seulement de la philanthropie.

La même croyance unit plus les hommes que le même savoir ; c’est sans doute parce que les croyances viennent du cœur.

Dieu a fait la vie pour être pratiquée, et non pas pour être connue.

Sans le devoir, la vie est molle et désossée ; elle ne peut plus se tenir…


Il serait aisé d’allonger la liste de ces pensées, qui toutes vont loin, et dont quelques-unes, — on l’a sans doute noté au passage, — ont une portée toute contemporaine, et ont l’air, en vérité, de dater d’hier, ou même d’aujourd’hui. La forme en est d’une vivacité piquante et lapidaire, d’une plénitude aisée qui ne laissent rien à désirer. « C’est un grand art, a dit encore Joubert, que de savoir darder sa pensée et l’enfoncer dans l’attention. » Cet art, il le possède excellemment : il a le don, précieux pour un « maximiste, » des formules heureuses, et qui se gravent. « Je voudrais, disait-il, monnayer la sagesse, c’est-à-dire la frapper en maximes, en proverbes, en sentences, faciles à retenir et à transmettre. » Il faut avouer qu’il a fort bien rempli son objet.

En quoi d’ailleurs consiste cette « sagesse » que Joubert voulait répandre ? Et de son volume de Pensées peut-on dégager, sinon un système, tout au moins une doctrine, une conception nouvelle et originale du monde, de l’homme et de la vie ? Le mot de système eût été répudié par lui. « Tout système, a-t-il écrit, tout système est un artifice, une fabrique qui m’intéresse peu ; j’examine quelles richesses naturelles il contient, et ne prends garde qu’au trésor. » Ce serait donc faire violence à ce