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vérité ; j’ai lieu de penser que je l’ai vue sur bien de grands objets ; peut-être un de ces mots que j’aurai jetés à la hâte… » Cette note semble même réclamer un publication intégrale qui n’a d’ailleurs, — et peut-être à tort, — jamais eu lieu. Le premier éditeur des Pensées, Chateaubriand, dans un volume introuvable qui n’a pas été livré au commerce, et qu’il était peut-être bon de remettre en circulation, s’est borné à faire un choix. Son exemple a été suivi par tous ceux qui ont succédé au grand écrivain dans son rôle d’exécuteur testamentaire. L’édition courante, préparée par Paul de Raynal, et perfectionnée par son frère, est en général plus complète[1], mieux distribuée, plus commode à manier que l’édition de Chateaubriand ; mais elle n’est encore qu’un choix, et l’on voudrait être sûr que ce choix ne laisse de côté rien d’essentiel. D’autre part, et à supposer qu’une publication intégrale des manuscrits laissés par Joubert fût ou difficile, ou impossible, on aimerait bien à pouvoir dater chacune des pensées que les éditeurs ont cru devoir retenir. Dans cette « suite de petits livrets, au nombre de plus de deux cents où Joubert avait inscrit, jour par jour, ses réflexions, ses maximes, l’analyse de ses lectures et les événemens de sa vie, » il y a évidemment toute l’histoire de la pensée et de l’âme même du moraliste : on serait, semble-t-il, en droit de connaître cette histoire, non seulement dans ses résultats exquis, mais bruts, mais encore dans la suite de ses étapes successives.

Résignons-nous donc, en attendant qu’on donne quelque jour peut-être satisfaction à notre curiosité légitime, résignons-nous à prendre en bloc, telles qu’on nous les présente, les Pensées de Joubert, et essayons d’en indiquer brièvement les mérites originaux et de mettre le livre à son rang.

Toutes ces pensées ne sont assurément pas d’égale valeur, et, puisqu’elles ont été choisies sans doute entre beaucoup d’autres il en est un certain nombre qu’on aurait pu laisser de côté sans très grand dommage pour la mémoire du moraliste. Tel est par exemple ce jugement sur Racine, que l’on pourrait pardonner à Victor Hugo, mais que j’ai quelque peine à passer au délicat

  1. Il y a cependant certaines pensées qui figuraient dans l’édition originale, et qui ont disparu des éditions courantes ; par exemple celle-ci (cf. notre édition, article 1, n° 231, p. 52) : « Il y a des temps où le Pape doit être dictateur ; il y en a d’autres où il doit n’être considéré que comme premier préposé aux choses de la religion, comme son premier magistrat, comme roi des sacrifices. »