Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de légitime et de fécond, aurait pu avoir en lui son critique.

Ces années de libre initiation et de jeunesse ne semblent pas avoir été aussi austères que la suite pourrait le faire croire. Fontanes avait une liaison, et en 1791 ; il lui naissait un fils naturel qui, sous le nom de Saint-Marcellin se distingua pendant l’Empire comme soldat, pendant la Restauration comme publiciste et auteur dramatique, et mourut en duel en 1819. Une lettre de Fontanes à Joubert nous montre ce dernier plus préoccupe qu’on ne s’y attendrait de Restif de la Bretonne. Et du reste, certains aveux des Pensées ne laissent pas d’être, à cet égard, dans leur discrétion même, fort significatifs : « Le temps que je perdais autrefois dans les plaisirs, je le perds aujourd’hui dans les souffrances. » « Mon âme habite un lieu par où les passions ont passé, et je les ai toutes connues. » « Toutes mes passions se sont promptement taries, en ne laissant rien d’elles-mêmes, quand tous mes sentimens laissaient en moi quelque racine indestructible. « Sachons-lui gré du moins de n’avoir pas, comme tant d’autres, prolongé trop tard ses expériences passionnelles, et d’en être sorti l’âme à peu près intacte.

Et, bien entendu, et quoi qu’en ait pensé son biographe Paul de Raynal, il ne se contentait pas de lire, et de tenir à jour, ce journal de ses Pensées qu’il avait commencé quelques années auparavant : il écrivait, et il publiait. Il est infiniment probable qu’on ne parviendra jamais à reconstituer l’intégralité de son œuvre d’alors : la publicité semble l’avoir presque de tout temps effrayé ; il recherchait jalousement l’anonymat, et, comme s’il avait voulu enfouir éternellement dans l’oubli les écrits de sa jeunesse, il a déployé une ingéniosité extraordinaire à décourager, à dépister notre curiosité. Mais son frère, mais Chateaubriand ont parlé : ils ont affirmé l’existence et la publication peut-être de vers, plus sûrement encore d’articles littéraires et d’études historiques. Enfin, dans une lettre inédite de La Harpe à Boissy d’Anglas, sous la date du 25 décembre 1787, je lis ceci, qui, — s’il est prouvé que le Joubert mentionné soit le nôtre, — pourra servir à orienter les chercheurs de l’avenir : « Les comédiens qui ne doutent pas davantage nous ont donné la moitié d’une comédie en cinq actes, car on n’a pas voulu entendre l’autre. Cela s’appelait les Rivaux, et était de M. Joubert, lequel rend compte des pièces de théâtre dans le Journal de Paris ; et vous avez pu voir comme il tance vertement le public, pour n’avoir pas eu la