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famille. Par la vivacité scintillante de son imagination, par son goût des formules brillantes, ingénieuses, saisissantes, des saillies imprévues ou piquantes, Joubert est bien de ce coin du Midi où l’esprit s’accompagne si volontiers de grâce ailée et souriante. Il en est peut-être aussi par son peu d’aptitude aux lents développemens réguliers, aux démarches rectilignes de la composition classique. « Je suis, comme Montaigne, disait-il, impropre au discours continu. » Montesquieu, lui aussi, — l’Esprit des Lois en témoigne de reste, — était impropre au discours continu. Ne serait-ce point là une disposition de race ? Joubert était l’aîné d’une famille de huit enfans. Nous ne savons rien de son père, qui était médecin. Sa mère, « femme du plus rare mérite, pour laquelle il professa toujours une espèce de culte, » semble avoir été une de ces chrétiennes ferventes, attentives et prudentes, comme la vieille bourgeoisie française savait en produire, et qui sont tout à la fois l’honneur discret et la force résistante de notre pays. Elle paraît avoir eu pour son fils aîné une tendresse, une sollicitude toutes particulières. Celui-ci le lui rendait bien, et il a parlé en termes touchans de « sa bonne et pauvre mère : »


Elle m’a nourri de son lait, — écrivait-il à Mme de Beaumont, — et « jamais, me dit-elle souvent, jamais je ne persistai à pleurer, sitôt que j’entendis sa voix. Un seul mot d’elle, une chanson, arrêtaient sur-le-champ mes cris et tarissaient toutes mes larmes, même la nuit et endormi. » Je rends grâce à la nature qui m’avait fait un enfant doux ; mais jugez combien est tendre une mère qui, lorsque son fils est devenu homme, aime à entretenir sa pensée de ces minuties de son berceau.

Mon enfance a pour elle d’autres sources de souvenirs maternels qui semblent lui devenir plus délicieux tous les jours. Elle me cite une foule de traits de ma tendresse, dont elle ne m’avait jamais parlé, et dont elle me rappelle fort bien tous les détails. A chaque moment que le temps ajoute à mes années, sa mémoire me rajeunit…


Enfant doux, aimable et tendre, d’intelligence vive et précoce, à quatorze ans, les maîtres de Montignac n’avaient plus rien à lui apprendre. Sa famille le destinait au barreau, et on l’envoya à Toulouse faire son droit. Mais il aimait les Lettres par-dessus toutes choses : d’autre part, il éprouvait le besoin de compléter ses études classiques. Ayant fait la connaissance des Pères de la Doctrine chrétienne, qui avaient succédé aux Jésuites dans la direction du collège de Toulouse, il prêta l’oreille à