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réponse deux lettres où le chargé d’affaires Derenthall l’informait de la nomination faite par l’Empereur ; et lorsque, le 2 mai, Derenthall alla personnellement au Vatican, il apprit que Pie IX regrettait, à, cause de la situation présente de l’Eglise, de ne pouvoir accepter un cardinal. La presse allemande, dans laquelle Bismarck, dès le 26 avril, avait ébruité cette nomination, considéra l’Empire comme outragé. Antonelli eût accepté, disait la Gazette nationale, mais les Jésuites ont mis leur veto. « Bismarck, expliquait la Gazette de l’Allemagne du Nord, avait voulu accréditer près du Pape un personnage qui aurait mis Pie IX à même de bien juger les choses d’Allemagne, et qui aurait prévenu les malentendus et les fausses interprétations, au fur et à mesure que les difficultés auraient été réglées, non à Rome, mais par la législation prussienne. » — « D’un tel commissionnaire, reprenait la Correspondance provinciale, Pie IX aurait été assuré, d’avance, qu’il ne lui ferait de la part de l’Allemagne, lui cardinal, aucune communication offensante ou malfaisante. »

Les articles mêmes qui commentaient cette insidieuse avance, laissaient ainsi percer un parti pris bien formel, et vraiment irrévocable : c’est à l’écart de l’Église et sans l’Eglise que Bismarck comptait régler, dans l’Empire, les choses d’Église. Et l’ambassadeur qu’il avait tenté d’accréditer à Rome n’aurait pas eu à négocier, ni même à consulter, ni même à pressentir ; avec une condescendance surveillée, transposant en style de curie le style des légistes, il aurait expliqué les mesures prises par la souveraineté d’Etat, et les couvrant, en quelque façon, de sa robe cardinalice, il aurait amené le Pape à consentir, et à faire taire le Centre, qui discutait. Tel était le plan de Bismarck, brisé, tout net, par le refus d’Antonelli.

« Ce coup d’échec, écrivait, le 6 mai, Auguste Reichensperger, marque la guerre au couteau contre l’Église catholique. » Le prince de Hohenlohe pensait de même : « Dans la question ecclésiastique, notait-il le 10 mai, Bismarck veut avancer résolument, mais l’Empereur craint la lutte, ou plutôt il craint que ses dernières années ne soient aigries par une lutte qui lui promet peu de gloire. » On parlait de tiraillemens entre Guillaume et le chancelier ; on chuchotait que Bismarck allait passer six mois à la campagne. Il se disait blessé, jouait de sa blessure, l’étalait devant la galerie, devant la presse, devant Rome ; mais ne parvenait pas à troubler la « grande modération et le grand