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de Luther : le chrétien, chez lui, fit taire le parent. Le 5 mars, Bismarck dîna avec Kleist, voulut le dissuader de combattre la loi. Kleist tint bon ; le chancelier, prenant son couteau, lui dit, d’un geste décisif : « Hans, s’il en est ainsi, c’est fini entre nous. » Kleist prit son chapeau et sortit. Vingt-quatre heures après le repas de rupture, les deux convives, Bismarck et Kleist, s’affrontaient l’un l’autre devant la haute assemblée. Le rapport de Kleist déclarait le projet superflu, et, par surcroît, dangereux. Bismarck, à dessein, réduisit la portée de la loi proposée ; il s’agissait d’apprendre l’allemand à des compatriotes qui ne le parlaient pas, et, pour cela, d’éconduire les curés polonais qui s’opposaient à la langue nationale. Un orateur l’avait accusé de subir la pression des nationaux-libéraux : Bismarck affirma n’avoir d’autre guide que l’intérêt de l’Etat. Mais il avait assez de se défendre ; il attaqua. Qui donc lui reprochait de céder à l’influence d’un parti ? C’étaient ces conservateurs, qui, quatre ans auparavant, au lieu de se conduire en parti de gouvernement, avaient commencé de lui faire opposition. Aujourd’hui que leurs pieuses alarmes se rebellaient encore contre un projet gouvernemental, c’est à leur protestantisme même qu’il faisait appel pour gagner leurs suffrages. Alors, reprenant à sa façon le récit des premières brouilles entre la Prusse et le catholicisme, il montrait comment ces brouilles s’étaient accentuées après la défaite des deux grandes puissances catholiques, après les développemens pris par la Prusse sous les auspices de sa « dynastie évangélique, » après l’apparition, sur l’horizon, d’un « empire évangélique » allemand. En présentant à ces conservateurs de la vieille Prusse un projet qui recelait en germe la destruction de l’école chrétienne et de l’Etat chrétien, il y avait quelque adresse à flatter leurs oreilles par ces mots : « empire évangélique, » « dynastie évangélique, » savamment lancés d’une voix fervente. Mais pour cet Empire évangélique, cette voix se mettait à trembler ; et Bismarck lut un certain rapport diplomatique, fait pour semer la peur. L’auteur, qu’on crut être Arnim, expliquait, dans une page anxieuse, que la revanche souhaitée en France devait être préparée par des divisions religieuses en Allemagne ; que de Paris, de Rome, de Genève, de Bruxelles, le clergé allemand recevait les ordres nécessaires pour précipiter ces dissensions ; et qu’à la faveur des troubles intérieurs de l’Allemagne, un coup serait tenté contre l’Italie