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modérée, qui savait, avec toutes les formes du respect, surveiller le budget de l’armée et l’armée elle-même. C’étaient là peut-être des péchés de jeunesse… Falk, aujourd’hui, avait quarante-cinq ans ; son esprit comme son âge était mûr ; il s’était révélé bon juriste dans un débat sur la contrainte pénale ; et puis, sa force de travail était immense, et l’on aurait de la besogne, au ministère des Cultes, dans les mois qui venaient. Guillaume hésitait ; il aurait préféré mettre son Eglise de Prusse aux mains d’un conservateur. Falk, à vrai dire, passait pour un chrétien convenable, mais pour un de ces chrétiens qui considèrent la religion comme chose privée et qui, dans leur fauteuil d’hommes publics, prendront en toute sécurité de conscience, — ou, ce qui est plus grave encore, sans consulter leur conscience, — des mesures néfastes pour les intérêts religieux. Ce genre de collaborateurs était agréable à Bismarck ; mais Guillaume était moins rassuré. Le temps passait ; à la cour comme à la ville, on épiloguait sur la durée de la petite crise. Les catholiques ne tenaient pas à l’ascension de Falk. « Il doit être franc-maçon, » écrivait Auguste Reichensperger. De fait, par ses idées sur l’instruction, Falk se rapprochait beaucoup plus des loges que des piétistes : il émergeait parmi ces esprits, nombreux dans la seconde moitié du XIXe siècle, qui croyaient à la moralisation des masses par l’alphabet. L’idée peut paraître vieille aujourd’hui, et même surannée ; mais elle était nouvelle pour la cour prussienne de 1872. Bismarck pourtant insistait, et, lorsque son fidèle Aegidi eut déniché certain discours de Falk sur la réorganisation de l’armée, dont les nationaux-libéraux avaient jadis été mécontens, Guillaume se rasséréna, se décida : Falk devenait ministre.

On avait aux Cultes, dans la personne de Falk, un juriste érudit, pointilleux, engoué d’une étroite logique, sachant bien les textes, ignorant des faits, incapable d’envisager les répercussions sociales de sa politique religieuse. Il connaissait mal, d’ailleurs, le terrain nouveau de son activité ; l’histoire des précédens ministres des Cultes lui était peu familière ; sa doctorale redingote, sévère comme son humeur, sanglait un parfait légiste, également dédaigneux de la coutume et de la vie, légiste sur qui le passé n’avait pas de prise, qui considérait les hommes, a priori, comme des sujets passifs de la loi, qui ne savait prévoir ni les soubresauts, ni les réactions, ni les résistances, et qui, loin de voir dans ces événemens un tressaillement des