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confessionnel de l’instruction primaire. Alors Bismarck opposa son veto : il ne voulait pas d’une discussion parlementaire qui dégénérât en conflit entre le gouvernement et les nationaux -libéraux ; et les rapports se tendirent entre le ministre des Cultes, qui ne déposait qu’à contre-cœur un projet fragmentaire propice aux idées de laïcité, et le président du Conseil, qui renvoyait au fond des cartons un projet d’ensemble, inspiré par l’esprit chrétien. On fit courir le bruit que Mühler, homme pieux et scrupuleux, voulait retirer le premier de ces projets. Bismarck s’irritait, non seulement des lenteurs auxquelles se heurtait sa volonté, mais de la répercussion qu’elles pouvaient avoir sur l’esprit du roi Guillaume : « Le Roi est tourmenté, disait-il au vicomte de Gontaut-Biron, chaque fois que la religion est mêlée à quelque affaire. » Mühler risquait d’induire Guillaume à certains scrupules… Ce ministre, quel que fût son dressage de fonctionnaire, avait une conscience personnelle, pointilleuse, exigeante, et dès lors discuteuse ; et Bismarck prisait peu, chez ses collaborateurs, cette honorable et gênante originalité.

Voilà longtemps, d’ailleurs, que le rôle du ministre des Cultes, tel que le concevait Mühler, ne répondait pas à l’idéal du chancelier. Derrière sa table officielle, Mühler n’oubliait pas qu’il était chrétien ; et parce que chrétien, il voulait faire régner Dieu dans l’Ecole et faire régner le dogme, intact et strict, dans l’Eglise évangélique. Mais l’âme religieuse d’un Bismarck, telle que nous l’avons fait connaître, comprenait malaisément que dans la vie publique on accordât à de pareils soucis quelque primauté ; et Bismarck, au dîner même par lequel on célébrait la paix de Francfort, disait ouvertement : « Le pire, dans un ministre des Cultes, c’est qu’il ne peut pas oublier à quelle confession il appartient, et dès lors il restera toujours homme de parti ; ce que j’aimerais le mieux pour un tel poste, ce serait un Juif. » Le pieux et bon Louis de Gerlach, à qui l’on relatait ce propos, soupirait qu’en vérité il eût été difficile d’imaginer quelque chose de plus misérable. Mais Bismarck, on s’en souvient, ne croyait pas qu’il fût absolument besoin d’églises pour la prolongation de l’œuvre rédemptrice : dès lors, un bon policier juif, en les maintenant chacune à sa place, en les empêchant toutes d’empiéter sur la place de l’État, n’aurait pas gêné le Christ, qui seul intéressait la religiosité de Bismarck. Un autre jour, le chancelier observait qu’en Espagne il n’y avait pas de