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toutes, la science, dont le nom, même au village, n’est plus prononcé qu’avec toutes les marques du respect. Le petit cours d’agriculture paraîtra le trait d’union entre la métairie et l’école, comme aussi le choix des lectures, des dictées, des pages d’écriture. Tout cela est bien. Mais ce que je veux dire est autre chose, plus délicat, plus intime, et ne peut être obtenu par un cours, ni par des livres, ni par des cahiers, ni par quelques leçons de choses au petit champ d’expérience. Seul le maître peut le donner, mais il faut pour cela que son âme soit remplie par la beauté et le charme de la vie rurale.

S’il connaît pratiquement les travaux de la terre et peut en parler comme en parlent les paysans, s’il partage leurs émotions, s’il s’attriste de la pluie qui noie les labours et du vent de Sud qui dessèche les maïs, si son cœur se gonfle de joie à la vue des épis qui baissent la tête sous le poids des grains et des grappes mûres qui soulèvent les feuilles pour recevoir les derniers baisers du soleil, l’enfant le comprendra, le sentira. Si, par malheur, il est un évadé de la vie agricole, s’il n’a conservé pour elle qu’indifférence, dédain ou répugnance, quelques précautions qu’il prenne, cela n’échappera pas à l’écolier. Le subconscient de l’enfant est infiniment sensible aux nuances.

Ce que je dis n’est pas une vue de l’esprit, je l’ai observé et noté. Je sais des villages qui doivent beaucoup à de vieux maîtres restés près de la terre, la travaillant peut-être un peu le matin et le soir. Ils n’enseignaient pas moins bien que les autres la lecture, l’écriture, le calcul et le reste. Et cependant je ne répondrais pas que certains jours d’été, où les foins étaient menacés par l’orage, ils n’aient pas lâché tous les apprentis avant l’heure, prenant eux-mêmes la fourche pour, leur donner l’exemple : la journée, loin d’être perdue, restait très éducatrice. L’âme paysanne de ces vieux maîtres a été bienfaisante aux générations qu’ils ont élevées ; elle les a fixées au sol natal. Mais où est-il maintenant parmi les jeunes, le maître ami de la terre, aux mains légèrement calleuses ? Et, s’il se rencontre quelque part, est-il sérieusement encouragé ?

Le certificat d’études primaires lui-même, tel qu’il est, exerce une influence nettement défavorable. Il détermine une griserie qui est peut-être plus marquée chez les parens que chez les enfans. — Docteur, notre fils a été reçu. — Cela vous est dit sur un ton de fausse modestie qui renferme ce sous-entendu