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attachent l’homme au sol natal et aux métiers héréditaires. Le subconscient de l’enfant est fait de tout le passé de la race. C’est là que sont accumulés, comme les couches d’un terrain géologique, tous les dépôts ancestraux, toutes les imprégnations dues aux habitudes, aux mœurs, aux sentimens religieux, aux préoccupations, aux travaux des générations disparues. C’est encore le subconscient qui détermine l’originalité morale du groupe ethnique ; c’est par les instincts, les tendances, les affinités latentes qu’on y trouve, plus que par la forme de la tête ou la couleur des yeux, que le petit Gascon se distingue de l’Auvergnat, du Basque ou du Flamand.

L’école est donc en présence de forces puissantes qui dorment dans les régions profondes de l’âme, dans les régions subliminales de certains philosophes et qu’ici même le docteur Grasset a désignées sous le nom d’espace polygonal[1]. Si elle réveille ces forces, les cultive, les dirige, les utilise, elle retiendra l’enfant au village et préservera la terre de l’abandon. Si elle s’en désintéresse, si son enseignement reste exclusivement intellectuel, si elle méconnaît la qualité intime de l’écolier, son origine, son milieu, son atavisme, son avenir, c’est un désastre pour la vie agricole. Pour que les champs soient labourés, il faut commencer par cultiver et élever des laboureurs à l’école. Et qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée : il ne s’agit pas d’enseigner l’agriculture, mais de donner une éducation, une culture morale en vue du métier.

D’ailleurs, dans nos villages, l’école a des devoirs précis et particulièrement impérieux envers ce métier. La plupart des enfans qu’on lui confie ne sont pas seulement de futurs laboureurs, mais, — chose capitale, — ils ont déjà commencé leur apprentissage : le matin et le soir, ils sont mêlés aux travaux de la métairie, et tel écolier, qui, le vendredi, récite gravement sa leçon sur les Carolingiens, a labouré la veille avec son père La précocité même de cet apprentissage est une nécessité absolue, reconnue de tous, et, selon le proverbe, pour rester fidèle à la charrue, il faut de bonne heure s’être suspendu à la queue des vaches.

On sait que la psychologie de l’apprenti est délicate, a besoin de précautions et d’égards. Les premiers contacts avec le métier

  1. Le Psychisme inférieur, par le professeur Grasset. Revue du 15 mars 1905.