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paix dans l’Église, puis la grande pensée de toute la chrétienté en péril, la croisade !… Ces belles âmes n’atteignent jamais la limite de leur efficacité.

Bornons-nous à l’œuvre accomplie.

Que Jeanne soit venue au temps exact où elle est venue, c’est-à-dire quand le moyen âge s’achevait et les temps modernes commençaient ; qu’elle ait réparé ce qu’elle a réparé, c’est-à-dire les désastres de la guerre de Cent ans et le désordre de l’Eglise en sauvant la France ; qu’elle ait réalisé, elle-même, l’âme française, vivacité, éclat, gaieté, sobriété, courage ; que son héroïsme et son martyre aient rétabli, à la fois, l’autorité et la liberté, en détruisant le mécanisme alourdi des deux aristocraties laïque et ecclésiastique ; qu’en rendant une vie nouvelle à la royauté de saint Louis, elle ait sauvegardé la pensée antique, catholique et méditerranéenne, maintenu Rome, contenu Luther ; que, par elle, la France de François Ier, de Louis XIV et de la Révolution ait été possible, pour l’étonnement et la splendeur du monde ; que l’idéal ait été préservé, que la vocation ail triomphé dans l’action et parmi les flammes, l’ensemble de ces événemens forme un tout à la fois réel et surhumain où se découvre, incontestablement, quelque chose des lois mystérieuses qui président à l’existence de l’humanité, quelque chose de divin et de providentiel, si le divin est ce qui dépasse et domine la raison et si la Providence c’est l’ordre.

Mais la portée extraordinaire de l’apparition de Jeanne d’Arc s’affirme, en outre, par ceci que la leçon de sa vie et de sa mort n’est pas épuisée : elle dure et elle durera longtemps encore.

De même qu’il a fallu trois ou quatre siècles pour que la parole du Christ perçât la croûte des inattentions et des négligences du monde, de même l’œuvre de Jeanne d’Arc ne se fera connaître que lentement. L’Eglise l’a mise sur ses autels ; mais la science et la philosophie la réclament aussi : car elles se corrigeront, s’humaniseront, s’agrandiront, rien qu’en essayant d’expliquer cette âme et de lui arracher son secret.

La pensée française, sauvée par elle, lui consacrera un culte perpétuel de souvenirs, de recherches et de piété. Le moindre incident de cette existence exemplaire sera commenté, étudié, dans sa réalité immédiate et dans son sens profond : on verra que mille choses humaines inconnues se rapportent à la mesure de cette âme.