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d’Arc est amenée devant ses juges. Coïncidence remarquable et qui laisse le sort de l’Eglise en suspens au moment où va se décider celui de la Pucelle !

Le Saint-Siège subit, alors, en effet, une nouvelle crise dont il est difficile d’augurer quelle sera l’issue. Un concile œcuménique, fils de celui de Constance, est réuni à Bâle. Entre la Papauté et le Concile, le dissentiment éclate. Le successeur de Martin V, le Vénitien Condulmieri, Eugène IV, résiste aux Pères du concile. Il les irrite et, bientôt, on dirait qu’il va passer, lui-même, pour un second Jean XXIII[1]. Mais, cette fois, par un singulier retournement des choses, ce sont les Universitaires, ce sont les hommes qui ont condamné Jeanne, les Cauchon, les Beaupère, les Montjeu, les Midy, les Courcelles qui mènent la campagne contre la Papauté.

Existe-t-il seulement une Papauté ? Existe-t-il une Chrétienté ? Au moment où les docteurs de Rouen poussent en hâte les interrogatoires pour courir à Bâle où on les réclame instamment, au moment où commence le corps-à-corps entre les deux grands pouvoirs de l’Église, duel qui doit durer dix-huit ans, Eugène IV est bloqué dans Rome par les Colonna, héritiers de son prédécesseur, les Hussites viennent de remporter les victoires qui épouvantent l’Allemagne, la guerre sévit plus que jamais entre la France et l’Angleterre, une autre guerre a éclaté, aux portes de Baie, entre Philippe le Bon et le duc d’Autriche, et là-bas, au loin, les chrétientés d’Orient appellent des secours toujours promis et qui n’arrivent jamais. Selon le mot du président du concile, hâtant l’arrivée des Pères : « L’incendie s’est déclaré dans la maison du Seigneur. »

A quoi bon insister ? Pour les contemporains, rien n’était plus incertain et plus trouble que l’autorité du Pape de Rome, que son sort prochain, que son avenir. Eugène IV avait, lui aussi, autre chose à penser, en montant sur le trône, qu’à l’appel prononcé à mi-voix par la captive de Rouen.

  1. « Aucune mesure, dit Pastor, si violente qu’elle fût, ne rencontrait d’opposition de la part de la majorité, composée pour la plus grande partie de Français, pourvu qu’elle fût dirigée contre le Pape ; les fanatiques saisissaient avidement toutes les occasions de faire sentir au Pape leur puissance et leur morgue hautaine. Un jour, en pleine session, l’archevêque de Tours (Coëtquis) dévoila avec franchise le but poursuivi : « Il faut, dit-il, arracher le Saint-Siège apostolique des mains des Italiens ou le dépouiller de telle façon que peu importe, ensuite, aux mains de qui il restera. » Æneas Sylvius, dans Pastor, Histoire des Papes (t. I, p. 295 et s.).