Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/510

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scandale, donne la formule, étonnamment « moderne, » du sentiment qui faisait agir ses frères : « Maître Pierre Cauchon, alors évêque de Beauvais, sans considérer qu’il est permis en droit à tout homme, de quelque état ou rang qu’il soit, de repousser la force par la force et que la loi naturelle, qui est immuable, prescrit à tous de combattre pour la patrie, fit longtemps détenir les trois religieux dans une affreuse prison… »

En 1424, un autre religieux, un franciscain, Etienne Charlot, colporte à travers tout le pays hostile, en Bourgogne, à Chalon-sur-Saône, à Langres, où « il a constamment entendu dire qu’on aimait mieux se faire Armagnac qu’Anglais, » les fils du complot tramé pour la délivrance de Rouen ; partout, il trouve des hôtes, des confidens, des amis. Il apporte tous ces détails à Odette de Champdivers, puis à Charles VII, et celui-ci lui confie que « nombre des gens des bonnes villes sont venus à lui en habits dissimulés pour l’assurer que quand il lui plairait de venir à eux il serait bien reçu et lui rendraient obéissance[1]. »

Paroles, dira-t-on ; bavardages de bourgeois en mal de mécontentement ou de moines en travail de mendicité ; et pourtant, la plupart d’entre eux payent de leur vie ou de leur liberté ces initiatives généreuses, et ce sont les procédures de condamnation qui nous instruisent de leur vaillance. Comment nommer ce sentiment si ce n’est pas le patriotisme ?

Cherche-t-on des volontés plus caractérisées, plus énergiques, plus populaires ? Voici des barbiers de village, des cultivateurs, des charpentiers et des apprentis charpentiers qui tiennent la campagne ou ravitaillent les bandes françaises aux environs de Gamaches ; voici Robin Crevin : il manœuvre avec une troupe de compagnons solides autour de Rouen et tient en alerte les Anglais qui ne peuvent en venir à bout. Près de Gerberoy, les paysans sont soulevés pour la même cause et bloquent la place comme assiégée. Un aventurier, Jeannin Galet, retranché dans le bois du Parc, opère entre Beauvais et Gournay ; on poursuit, comme ses complices, au nom du roi d’Angleterre, des gardes de bois, des verdiers. Jeannin Galet devient l’autorité de la région ; on lui dépêche des négociateurs dans les bois ; on traite de pair avec lui ; « hors des murs de Beauvais, il est la seule puissance reconnue, consultée, agissante et obéie. »

  1. Sur tous ces points, voyez les détails dans les articles de M. Germain Lefèvre-Pontalis, Bibliothèque de l’École des Chartes, 1895-1896.