Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savait au moins signer son nom[1]. S’il en est ainsi, une croix ne fait pas preuve. La pièce authentique n’a jamais été apportée au débat. Au procès de réhabilitation, on a examiné avec la plus grande attention le point de savoir si le texte lu à Jeanne est le même que celui qui fut inséré aux procès-verbaux ; la plupart des témoins de bonne foi reconnaissent que la formule lue était en français et très courte commençant par les mots : « Je Jehanne, » tandis que celle qui est insérée aux procès-verbaux est en latin et très longue, commençant par : « Toute personne qui a erré… » Massieu dit nettement : — « Je suis absolument sûr que la cédule lue à la Pucelle n’était pas celle dont il est fait mention au procès ; car celle-ci est différente de celle que j’ai lue à Jeanne et qu’elle a signée. » Quoi de plus formel ?

Une telle déclaration (confirmée, d’ailleurs, par tous les détails connexes) l’emporte. Si l’abjuration lue par Massieu n’est pas celle qui a été inscrite au procès-verbal, tout est suspect de fraude.

Jeanne n’a pas abjuré : telle est la vérité.

On a soumis, sans doute, à Jeanne, une déclaration tout autre que celle que nous connaissons et elle l’a prise, comme en témoignent plusieurs assistans, avec une sorte de gaieté, en riant[2]. Jeanne espérait-elle encore qu’on ne la conduirait pas jusqu’au bûcher[3] ? Autant qu’il est possible de rétablir ce qui s’est passé, il s’agissait d’un engagement, pris par Jeanne, de renoncer à l’habit d’homme si on la mettait dans les prisons ecclésiastiques. Elle crut, probablement, que le dessein du tribunal était de s’en tenir à une exposition publique avec sermon, comme cela venait de se passer, et que, moyennant une soumission générale à l’Eglise, on se contenterait d’une peine plus bénigne que la mort. Cela explique que, souriante, et peut-être renaissant à l’espoir, elle ait fini par se laisser persuader (non toutefois sans se méfier, comme le prouve son mot à Erard), et qu’après avoir écouté tant de gens qui paraissaient lui vouloir du bien, elle ait fait une croix sur le papier qu’on lui présentait, de même que, par plaisanterie, elle traça un rond sur un autre papier apporté par un secrétaire du roi d’Angleterre.

  1. C’est l’opinion de M. le comte de Maleissye, qui doit publier, bientôt, une étude sur ce point, avec les fac-similé des lettres signées par Jeanne.
  2. Procès (III, 55).
  3. « Elle était si simple, dit plus tard Jean Miget, un des juges, qu’elle pensait que les Anglais ne voulaient pas sa mort et qu’ils finiraient par la rendre pour une somme d’argent. » (Procès, III, p. 131.)