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Bibi. Et lui : « Gardez-vous bien de vous gêner pour tous les noms que vous vous trouverez portée à me donner. » Venant d’un si bel esprit, cela afflige.

C’est merveille de voir comme M. Lemaître débrouille cette affaire du quiétisme et nous en rend la marche facile à suivre. Je n’ai pas le courage de le lui reprocher. Donc Mme de Maintenon, avertie par Godet-Desmarais, se retourne contre Mme Guyon, sa protégée d’hier : c’est alors Fénelon qui conseille à celle-ci de remettre à Bossuet le jugement de ses livres. Bossuet accepte cette corvée, s’enfonce dans la lecture de ces rêveries et en éprouve une sorte de stupeur. Mais où le chagrin commença, ce fut quand il s’efforça vainement d’obtenir que Fénelon désavouât son amie. « Je me retirai étonné de voir un si bel esprit dans l’admiration d’une femme dont les lumières étaient si courtes, le mérite si léger, les illusions si palpables et qui faisait la prophétesse. » Mme Guyon provoque un nouvel examen, et c’est l’origine des conférences d’Issy. Fénelon avait d’avance promis une entière soumission. « Ne soyez pas en peine de moi, je suis dans vos mains comme un petit enfant. Je puis vous assurer que ma doctrine n’est pas ma doctrine ; elle passe par moi sans être à moi… Dès que vous aurez parlé, tout sera effacé chez moi… » Les articles d’Issy une fois rédigés, on eut l’idée obligeante de les faire signer par Fénelon « pour éviter de lui donner l’air d’un homme qui se rétracte. » Fénelon signa, avec Bossuet, Noailles et Tronson. Après quoi, Bossuet lui ayant soumis son livre sur les États d’oraison, où Mme Guyon est nommée et condamnée, il refuse de l’approuver et, en toute hâte, fait paraître les Maximes des Saints où tout tend à justifier Mme Guyon sans la nommer. Désormais, il s’entête. Cet entêtement lui vaudra le désastre effroyable qu’était au XVIIe siècle une disgrâce du Roi. Le 2 août 1699, il quitte Versailles pour n’y plus revenir. « M. de Cambrai est inexorable et d’un orgueil qui fait peur, » écrivait Bossuet. « Peut-être, répond M. Lemaître, mais je ne trouve pas cela si mal, quand on sacrifie tout à cet orgueil ou plutôt à ce que Fénelon appelle si souvent « son honneur ; » et je suis sûr qu’il n’entend pas seulement par-là son honneur, de prêtre, mais son honneur d’homme et de gentilhomme. » Ainsi se déroule cette affaire compliquée, subtile, mais où il ne me paraît pas indispensable de chercher tant de mystère.

Toutefois, si vous avez plus de confiance aux explications qui embrouillent les choses et aux éclaircissemens qui les obscurcissent, — c’est une opinion qui peut se soutenir, — adressez-vous au livre singulier qu’un écrivain de talent, M. Henri Brémond, intitule : Apologie