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contre les abus de la politique ; le gouvernement fédératif, en multipliant les assemblées délibérantes et les fonctionnaires, accapare trop de personnes ; il perpétue, si l’on y regarde de près, les traditions des coteries d’antan, des chapelles provinciales, de ce caudilismo qui a été longtemps la plaie profonde des jeunes sociétés sud-américaines. Or beaucoup de bons esprits condamnent ce système du gobierno dual, qui énerve la vitalité nationale ; tel distingué professeur argentin le flétrit en une brochure énergique ; tel président d’une autre république n’hésite pas à blâmer publiquement, pour des hardiesses fiscales qu’il juge aventureuses, le ministère local d’un des Etats provinciaux. Certes les compétitions politiques ne sont pas dégagées des rivalités personnelles mais, en cette année 1910, qui est une année d’élections présidentielles pour l’Argentine et pour le Brésil, il est visible que les « plates-formes » sont de plus en plus larges ; on discute devant les électeurs des questions économiques, des questions de diplomatie sud-américaine et internationale, sur lesquelles il se fait une opinion publique, après des années de générale indifférence.

Tous les États posent aujourd’hui le problème de l’éducation nationale. Amédée Jacques avait, dès 1804, préparé, sur la demande de Mitre, tout un plan, que des événemens extérieurs, surtout la guerre du Paraguay, empêchèrent de réaliser immédiatement. Mais les écrivains les plus « compréhensifs » de l’Argentine contemporaine, M. Ricardo Rojas, par exemple, dans sa Restauracion nationalista, ont adopté les idées de Jacques : que l’on s’inspire de l’Europe, c’est nécessaire, mais que l’on n’importe pas servilement des méthodes et des livres ; l’effort principal doit être de donner à la culture générale une forme nationale, de la fonder sur une connaissance solide de la langue, puis de la littérature espagnoles, sur l’histoire et la géographie, particulièrement de l’Amérique du Sud et de ses anciennes métropoles. On ne saurait trop insister sur ce que représentait d’intelligence claire et pratique la rédaction d’un programme si sagement réaliste par un étranger, républicain de 1848, proscrit du 2 décembre et qui avait découvert, sur un sol néo-latin, l’art d’être mieux qu’un doctrinaire. Les directions tracées par Jacques s’imposent aux réformes de l’enseignement au Brésil, en Argentine, au Chili et, de proche en proche, dans toutes les républiques sud-américaines.