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offrir aux citoyens de Buenos-Ayres qu’une représentation dérisoire dans les assemblées métropolitaines, et pas même une retouche des pratiques administratives qui réservaient aux Espagnols nés tous les emplois coloniaux. Le succès de la Junta marque une revanche des créoles contre ces abus, contre la tutelle inintelligente et tracassière de la métropole ; il est vrai que, par esprit d’opposition, les colons de l’intérieur se gardèrent d’associer immédiatement leurs doléances à celles de Buenos-Ayres ; dès ce premier jour, le manque d’union retarde le triomphe décisif de la liberté.

L’année 1810 a vu, d’un bout à l’autre de l’Amérique, des incidens analogues à ceux de Buenos-Ayres. A Caracas, capitale de la vice-royauté de Nouvelle-Grenade, le Conseil municipal s’érige en gouvernement provisoire ; on ne laisse pas débarquer les agens du roi français, Joseph Bonaparte, mais on n’est pas plus sympathique à ceux des Cortès et, si l’on acclame Ferdinand VII, peut-être est-ce parce qu’on le sait réduit à l’impuissance. Au Chili, le général O’Higgins lève des troupes pour commencer la guérilla, et noue des intelligences, par-delà les Andes, avec les révolutionnaires argentins. Au Mexique, le curé Michel Hidalgo soulève les paysans et les Indiens ; ses bandes, parties de Guanajuato, menacent la capitale et plusieurs officiers des troupes régulières lui amènent leurs régimens. Ce sont partout lézardes et craquemens, qui annoncent la chute prochaine du vieil édifice hispanique. Quant au Brésil, possession portugaise, il est depuis deux ans le royaume de Portugal lui-même, puisque la famille de Bragance et toute l’aristocratie lusitanienne, fuyant devant les soldats de Junot, sont venues se fixer à Rio en mars 1808 ; cet exode même indique assez que, pour le Brésil aussi, nous touchons au terme de l’âge colonial. Qu’était donc, à ce moment critique de son histoire, l’Amérique latine ?


I

Le Brésil était resté longtemps une dépendance négligée du royaume de Portugal ; colonie tropicale, il vivait de cultures semblables à celles des Antilles, et, comme ces îles, ne connaissait du travail de la terre que celui des esclaves importés d’Afrique ; sa capitale fut Bahia jusqu’au milieu du XVIIIe siècle ; en 1762,