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tant de mois à passer avant que vous soyez sortie du cauchemar ! Malgré tout ce que je sais de votre vie et ce que je devine, je ne peux pas m’empêcher d’associer votre image à des perspectives de bonheur. J’ai une foi enfantine en la vertu de votre sourire intrépide et calme pour déjouer le destin mauvais, pour mettre en fuite les visions de laideur et d’épouvante. Illusion de poète, sans doute et, je n’ose pas vous la donner pour une prophétie, un pressentiment tout au plus. Et pourtant, si peu justifié qu’il soit jusqu’ici, je veux y persister encore.

Au revoir, ma bien chère amie, je vous écris à Montauban où j’ai pris mes quartiers d’hiver. Il fait triste en moi ou autour de moi. Des rayons jaunes effleurent les gazons humides ; un rouge-gorge chante ; chanson brisée à travers les feuillages meurtris. Et je pense au jardin de Marennes aux traits automnals, aux rainettes que nous regardions palpiter sur les feuilles. Je vous serre les mains affectueusement.


Montauban, 10 mars 1905.

Ma chère amie,

L’hiver finit mal décidément, et il a tant de mal à finir. Hier je le croyais défunt et il a ressuscité ce matin, plus traître et plus grognon que jamais. Croiriez-vous que je n’ai pas encore vu un amandier en fleurs. Le 10 mars ! C’est désolant ! Et s’il n’y avait que les amandiers à souffrir de ce froid persistant ! Mais il y a les bronches de ma femme et les miennes qui en pâtissent. J’ai été tout ce mois dernier et encore au commencement de celui-ci malade ou garde-malade, et quelquefois les deux ensemble, et ce n’est pas drôle ! J’espère ressusciter avec les violettes. Mais elles ne se pressent guère. J’irai les chercher lundi prochain à Orly au bord du Ceton. Une semaine de plein air, de promenades à travers courbes et coteaux, — de pêche à la ligne peut-être, si les eaux ne sont pas trop froides. Et si je me ragaillardis un peu à ce régime, je nie remettrai au travail en rentrant. Voilà des mois que je ne fais rien et mon oisiveté me pèse.

Et vous, chère amie, où en êtes-vous de vos projets de travail ? Il me semble que vous êtes dans un bon endroit pour méditer et pour écrire. Promener une ébauche de chapitre à travers les solitudes du parc, ce doit être délicieux et profitable.