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vous, pour moi aussi d’ailleurs. Trop noir, vraiment, trop tourmenté, ce commencement d’hiver. Je vous aurais souhaité, je vous souhaite encore un hiver blanc, un hiver silencieux et étouffé sous la neige. Et cette blancheur en reflets dans les chambres bien closes, où l’on médite, où l’on travaille. N’est-ce pas le bon programme ? Cela vaudrait mieux, à coup sûr, que la tourmente parisienne où je suis ballotté depuis deux mois. Oh ! ces après-midi, cinq, six heures d’affilée dans la pénombre de théâtre à respirer la poussière et les courans d’air. J’en meurs, j’en suis malade tout au moins, et si malade que je renonce à lutter. Ce soir, demain matin, au plus tard, je rentre à Montauban. Voilà toute une semaine passée derrière mes carreaux, en tête à tête avec la grippe. Je renonce à lutter, et veux retourner vers la douceur de ma vie montalbanaise. Tant pis pour le Roi de Rome qui va passer à la fin de la semaine, tant pis pour les Antibel, qu’on répète en scène et au souffleur à l’Odéon. J’ai la nausée de tout cela encore plus que la grippe. Quand cette lettre vous arrivera, je serai probablement à Montauban. Donnez-moi bien vite de vos nouvelles. J’ai su chez votre beau-frère les magnificences de votre arbre de Noël. Mais ce n’est pas assez pour mon amitié qui demande des détails plus intimes. Je vous envoie les souhaits de santé d’un malade et de bonheur d’un malheureux. Ce sont peut-être les plus sincères. Bien affectueusement à vous tous.


Montauban, 9 avril 1900.

Ma chère amie,

C’est vrai que j’ai l’air d’être dans mon tort et que vous avez l’air de m’en vouloir. Pourtant ce n’est pas de ma faute, je vous l’assure. Je n’ai jamais été moins libre de mon temps et de ma personne que depuis ces derniers mois. L’état de ma mère, sans être tout à fait inquiétant, s’aggrave de jour en jour ; sa faiblesse augmente. Elle a besoin de moi à tout moment. Je ne sais ce qu’elle deviendrait si je n’étais pas là pour la rassurer, pour la remettre d’aplomb. Sans compter que j’ai maintenant tout le tracas de ses affaires qu’elle ne peut plus administrer et dont je suis obligé de m’occuper. Vous voyez d’ici la vie que je mène. Et tout mon regret est de ne pas la mener plus complètement, de ne pouvoir pas me vouer tout à fait à ma mère, parce que je