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— et combien triste celle-là. Et de l’une ni de l’autre je n’osais vous parler, supposant qu’on vous avait caché la mauvaise et n’ayant pas le cœur de vous féliciter sans pouvoir vous plaindre en même temps. Une lettre de madame votre mère vient de me délivrer de mon silence. Tout s’est donc bien passé là-bas et ce fut une arrivée heureuse. La nécessité de vous donner à cette vie nouvelle a dû vous sauver un peu de l’horreur de cette mort que vous redoutiez tant, menace suspendue sur votre exil et dont la réalisation ne vous a pas été épargnée. Votre douleur je la comprends toute et j’y compatis de toutes mes forces ; mais si un coup pareil peut être adouci, les circonstances qui ont entouré l’affreux départ, la sérénité hors nature, la présence visible de la grâce aux dernières heures, a dû tout au moins l’ennoblir en y mettant toute l’auréole possible de la beauté morale et de la paix surnaturelle…

J’ai pris une part bien vive à votre deuil et non pas seulement à cause de vous et de Loti, et de la grande affection que je vous porte ; ma vénération pour votre grand’mère aurait suffi et aussi ma reconnaissance pour son si affectueux accueil.

Tous les vieux souvenirs se sont réveillés, les heures si douces de l’autrefois, cette lumière délicate d’une aube qui était à la fois celle de votre jeunesse et de notre amitié. J’ai revécu les journées de Marennes et de Rochefort. Et une douceur de mélancolie a émoussé la pointe de mon chagrin à voir disparaître le cher visage dont le sourire présidait à nos joies. Et maintenant, ma chère amie, parlons de lui, de votre Jean. Parlons aussi de votre santé à tous. Je suppose que l’acclimatement est complet, que les mois d’épreuve sont passés et que la provision de courage ira maintenant jusqu’au bout. L’année finit et nous voilà près d’à moitié de votre exil. On compte déjà les mois en attendant de compter les jours. Et ce sera cette fois le retour définitif. On n’aura plus l’angoisse, — le serrement de la gorge, — à lire les nouvelles d’Indo-Chine, le bulletin sanitaire et ses périodiques noirceurs. Après cet éloignement, les distances s’effaceront, tout nous semblera voisinage. Et nous rendrons ce voisinage plus proche en nous réunissant à Rochefort ou à Capdeville. Ce sont là d’heureuses perspectives ; et vous me permettrez de les évoquer en finissant.

Dites bien, je vous prie, toutes mes amitiés à M. D…,