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l’égare : il fut Bourguignon et Anglais. Au XVIe siècle, guisard et espagnol. La milice des moines, en contact direct avec le peuple, lui donna un esprit démocratique et archi-catholique.

(Écrit en 1872, après la Commune.)


Révolution française : Grand souffle et petits cerveaux : résultat médiocre. Donc l’enthousiasme et l’héroïsme ont besoin, pour accomplir leur œuvre, d’une chose en plus.

Révolution littéraire de 1830 : Théories très médiocres. Peu de science et peu de hardiesse, quoi qu’on dise. Mais des gens d’esprit, de véritables vocations (de poètes) : de là, des œuvres.

L’humanité a fait plus de progrès de 1520 à 1600 que de 1790 à 1870. Le XVIe siècle a eu moins de doctrines que le XIXe.


« La pauvre Venise ! » C’était Domenico, mon domestique d’hôtel à Constantinople, qui répétait cela.

Moi je dis : « Pauvre littérature ! » Car elle me semble, comme la vieille et belle ville des doges, être pleine de mouchards et de soldats. Des bourgeois indifférens viennent examiner ses ruines. Peu à peu, elle s’abîme dans je ne sais quelle universalité morne et infinie. J’entends ses murs tomber dans l’eau et les crapauds sauter contre les fresques qui s’écaillent.


IV

Il y a aussi, — mais en moins grand nombre, — des « pensées » philosophiques dans les carnets de Flaubert. Ce n’est pas diminuer sa gloire que de reconnaître qu’il n’était guère plus philosophe que Balzac. Les littérateurs diront qu’il était quelque chose de mieux.

Quoi qu’il en soit, il est trop évident que ces pensées n’ont pas pour nous l’intérêt des autres. Nous en avons reproduit quelques-unes parmi celles qui caractérisent les tendances de son esprit. Nous n’avons rien voulu en atténuer ni en dissimuler, puisque nous cherchons, ici, à nous faire une image exacte de l’homme que fut Flaubert. Nul de nos écrivains n’a été plus radicalement sceptique. Par une espèce de point d’honneur intellectuel, il a traîné jusqu’à sa mort le boulet du scepticisme, lui que les élans de son cœur emportaient sans cesse vers les plus audacieuses affirmations et déposaient parfois au seuil du mysticisme.