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Le don de l’observation ne peut appartenir qu’à un honnête homme. Car, pour voir les choses en elles-mêmes, il faut n’y porter aucun intérêt personnel.


L’observation et le trait sont deux qualités qu’il est bien de mépriser, mais qu’il est bon d’avoir.


Il faut être assez fort pour pouvoir se griser avec un verre d’eau, — et résister à une bouteille de rhum.


La littérature n’est pas une chose abstraite. Elle s’adresse à l’homme tout entier. Tel mot qui vous semble hasardé, tel passage libertin n’est peut-être coupable que d’agacer vos nerfs. Cela explique la fureur des gens contre certains livres (et les procès de presse ! ). Ce n’est jamais le fond qui scandalise, mais la forme. Le style, indépendamment de ce qu’il dit, peut avoir des inconvenances en soi. On trouve un certain caractère de débauche aux épithètes violentes, aux situations franches, à la couleur vraie.


La poésie ne sort pas du monde organique, quoi qu’on en dise. (Littérature industrielle, utilitaire, humanitaire, etc., est sans beauté et sans entrailles.) Il lui faut une base sensible et une surface plastique.

En ce sens, rien de plus poétique que le vice et le crime. Aussi les livres vertueux sont-ils ennuyeux et faux. Ils méconnaissent la vie, le Moi rejaillissant contre tous (l’homme contre la société, ou en dehors d’elle, qui est le vrai Homme ! ).

Voilà pourquoi il est si difficile de faire rire des vices. Notez que Molière ne s’est jamais attaqué qu’aux ridicules. (Harpagon fait peur, Arnolphe fait pleurer, Tartuffe épouvante, etc.) Le ridicule, à la bonne heure ! Chose transitoire, conçue par l’homme, inventée par lui, qui vient de l’esprit et qui y retourne !

Comme personnages vicieux, je ne connais que ceux du marquis de Sade qui me fassent rire. (Et ce n’était pas l’intention de l’auteur, bien au contraire ! ) Mais, ici, le crime arrivé à être un ridicule. Car la nature est tellement exaltée, poussée à outrance qu’elle devient impossible et disparaît. On n’a plus qu’une conception fantastique donnée pour humaine et en opposition avec l’humanité.