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et du panier de provisions. Je jette un coup d’œil de reconnaissance sur la prairie où m’attendait la tente de l’arrivée, et bientôt commence la rude escalade du Tchandraghiri dont je n’avais entrevu, en venant, que les cascades ruisselant sur nos têtes et sur le chemin. Nous grimpons sous bois le long d’un ravin escarpé, par des escaliers inégaux, polis par les eaux. On a dressé mon appareil la tête en avant, tandis que ma proue, aux tournans, plonge deux heures durant sur des gouffres de verdure. De temps en temps m’apparaît, tout au fond, la grande vallée que je ne reverrai jamais. Quelle mélancolie se dégage des choses qui ne seront plus ! Et, là-haut, derrière les chaînes étagées, planent toujours les sommets blancs du Tibet.

Cinq minutes de repos au haut de la montée, un dernier adieu, et puis la descente. En deux lignes de biais avant et arrière, quatre hommes de front, enlacés deux par deux et s’épaulant, soutiennent et retiennent la machine jusqu’à Tchitlong, où nous arrivons à midi et demi, près de ses trois tchaityas et de son long dharmsala. Après un rapide déjeuner expédié à l’ombre de quelques arbres, entre les deux villages de Tchitlong, on se remet en route. Et jusqu’à la passe de Sissaghuri, ce ne sont plus que petits cols à monter et à descendre, nombreuses rivières à passer. La Dessera est officiellement terminée ; cependant les fêtes semblent continuer dépassant les dix jours consacrés, à moins que ce ne soit bien plutôt une autre fête qui commence. Sur la montée du Tchandraghiri, toutes les femmes que je rencontrais avaient au sommet de la tête des toupets de fleurs violettes nuancées, grandes labiées fréquentes sur la montagne, tandis que des hommes portaient pieusement des présens sur de petits plateaux ; fleurs, graines ou huile. Beaucoup de mes porteurs ont les doigts couverts de bagues. Mais je ne vois plus à leur poignet droit le bracelet de ficelle qu’y a mis le brahmane en récitant les montras pour leur conserver la santé. Où sont-elles maintenant, les ficelles ? Peut-être encore à la queue d’une vache, d’une de ces vaches sacrées qui, mises en liberté par leur propriétaire, cherchent leur nourriture partout où il leur plaît, sans que personne ait le droit de les repousser. Je remarque au passage un enfant de cinq ou six ans qui tient une faucille minuscule. Une assez grosse hotte est devant lui, pleine de l’herbe qu’il a coupée. Il attend gentiment qu’on la lui charge sur le dos.

Pareils à certains chevaux, mes hommes grimpent au galop