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nuée de grands vautours repus se repose sur la falaise rocheuse, tandis qu’une seconde équipe s’acharne sur un cadavre d’homme ou d’animal qu’emporte le flot sacré.


Ma dernière grande promenade est pour le temple de Changou-Narayana, le plus riche du Népal, dit-on, comme le « Temple aux cinq Etages » à Bhatgaon en est le plus grand, et Matsyendra Natha (le dieu des poissons), à Patan, le plus honoré. Il est à une heure de voiture de Katmandou. On y accède, Dieu sait par quels chemins, bien meilleurs encore que ne le promettaient les sentiers d’arrivée. J’ai vu parfois le grand landau surplomber les chevaux dans les descentes et, dans, les montées, les chevaux se dresser menaçans au-dessus de ma tête. Au point où la route cesse d’être carrossable, une dandi nous attend avec un cheval pour le lieutenant, qui ne pourra guère l’utiliser, et un cooly pour porter le panier du tiffin, notre déjeuner. Nous gravissons de petits cols entre des vais en forme de cuves sur les pentes desquels s’étagent en terrasses des plantations de riz ; puis les cols se rétrécissent, les pentes deviennent abruptes et le sentier, défoncé par les pluies de la dernière « mousson » qui ont entraîné le sol sablonneux, n’est praticable qu’un pied devant l’autre, le long d’un ravin d’où l’on entrevoit des éboulemens de dix et vingt mètres. Lorsque nous redescendons dans la vallée formée par les contreforts du Mogarjoun, où la rivière Mono-Harakaolah festonne son ruban blanc, avant de se jeter dans la Baghmati, le sentier emprunte une digue surélevée au-dessus des rizières. Bien qu’elle soit ravinée et étroite, je reprends la dandi ; je ne sais comment les quatre pieds des hommes, emboîtés les uns dans les autres, peuvent trouver place sur la digue. Une dégringolade dans cette eau bourbeuse serait fort désagréable, mais l’appareil est merveilleusement équilibré et lorsqu’un des hommes doit descendre, la dandi ne s’éloigne pas trop de la perpendiculaire.

Le temple de Changou Narayana se dresse au centre de la vallée sur un mamelon de 1000 mètres de hauteur. On y grimpe par des escaliers taillés dans des pentes abruptes et, une fois devant l’enceinte, nous avons grand’peine à nous en faire ouvrir la porte basse et étroite, surveillée par les yeux grands ouverts du Bouddha et gardée de chaque côté par deux divinités : Ganeça,