Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Derrière le canapé de la Maharani, deux demoiselles d’honneur se tiennent debout pendant l’entretien, assez jolies, me semble-t-il dans leurs beaux atours, malgré des lèvres un peu épaisses. Elles viennent, sans doute, comme leur maîtresse, soit des provinces du Nord, soit du Tibet où les Maharajas ont coutume de choisir leurs femmes. La Maharani paraît gaie, son rire est jeune et agréable. Ma visite a dû beaucoup l’amuser, puisqu’elle n’a jamais connu qu’une Anglaise, Mrs Manners Smith, la femme du titulaire de la Résidence en congé présentement. Elle est l’unique femme du Maharaja, qui l’a épousée il y a trois ans, après la mort de la mère de ses grands enfans. Il n’a jamais voulu avoir qu’une femme, tout comme un Anglais. C’est peut-être affaire de mode, encore que ce scrupule, commun à nombre" d’Hindous de qualité, apparaisse comme un progrès de civilisation et fasse honneur à cette « respectability » anglaise qu’on a bien vite fait de traiter d’hypocrisie, mais qui semble toujours un hommage plus ou moins direct rendu à la « vertu. » Les autres Maharajas ne sont pas monogames, et le Roi, naturellement, possède tout un sérail. C’est sa distraction.

Le premier ministre m’attendait toujours dans le Durbar, il me fait les honneurs du Palais et de la grande galerie extérieure dans laquelle je reconnais une copie de l’encadrement du trône du dernier roi de Mandalay, grand portique de bois finement travaillé en Birmanie et de nature à engager les Népalais d’aujourd’hui à ne pas oublier l’art de leurs ancêtres newaris. Devant un portrait qui attire mon attention, il me parle avec affection et fierté de sa première femme, la mère de ses fils, plus fine que la Rani actuelle dont il est cependant fort épris. Il me fait hommage de sa photographie ainsi que de la sienne. Et comme j’admire en redescendant les magnifiques peaux de tigres tendues dans le hall, il m’explique, en me montrant les plus belles, qu’il les rapporta du Téraï, où, dans une seule chasse et sans accident, il tua onze grands félins. Le Maharaja actuel est le digne émule de Jang Bahadour et de ses ancêtres.


On ne se lasse jamais de flâner sur les routes et dans la ville, au hasard des rencontres toujours amusantes, au milieu de ce peuple en fête. Un jour, c’est le Dhiraj que je croise dans sa voiture attelée à la Daumont, avec son escorte de cavaliers