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Mais finablement, la paix ne si polt trouver et faillirent les traitiés par ce mesmement que la ville de Compiengne fu de tout désobéissant de livrer passage audit Duc de Bourgongne en alant et se retournant à Paris : ce qui lui estoit promis, avec le Pont Sainte-Massence… » Et encore, précisant que là est bien la cause et l’objectif principal de la guerre : « A l’entrée du mois d’avril, alla le Duc de Bourgongne à Péronne et fist une très grant assemblée de gens d’armes pour aller devant Compiengne, pour ce que là avoit très grosse garnison qui empeschoit le passage de Paris[1]… »

C’est cela que, du fond des châteaux de la Loire, Jeanne d’Arc a compris. Elle accourt ; elle est dans l’Ile-de-France vers le 15 avril, s’approche de Senlis[2] ; elle ne quitte plus la région, allant et venant à Crépy-en-Valois, à Soissons, à Compiègne où elle entre et d’où elle sort plusieurs fois, rôdant en quelque sorte autour de la ville, comme un chien de garde vigilant qui rassemble le troupeau.

Le pis, c’est qu’elle est dénuée de tout, abandonnée une seconde fois, n’ayant avec elle que son escorte fidèle d’écuyers et de prêtres, quelques soldats vigoureux, Ambroise de Lorc, Jean F’oucault, Alain Giron, Poton de Xaintrailles, Jacques de Chabannes, des hommes empruntés aux bandes qui courent les champs ; le plus clair de ses forces, c’est une compagnie d’environ deux cents Italiens, commandés par un certain Baretta. Et ses voix l’ont avertie, sous Melun, lui disant et lui répétant « comme tous les jours, qu’elle seroit prise avant qu’il fût la Saint-Jean. » (Procès, I, 115.)

Pâques était le terme des trêves : cette fois, elles ne furent pas renouvelées ; et le duc Philippe, accompagné de Jean de Luxembourg, du seigneur de Croy et autres capitaines, se porta sur Compiègne au moment où le roi d’Angleterre débarquait à Calais. Celui-ci envoyait immédiatement au duc des renforts pour assiéger la place. Au débarqué, le Roi trouve une missive de Philippe le Bon, lui expliquant tous ses desseins. « Paris est le cœur de la France ; la perdition de cette ville serait la perdition du royaume ; si le corps mystique du royaume, dont la ville de Paris est le cœur, est malade et opprimé par la guerre et environné par ses adversaires, si ces adversaires ne peuvent

  1. Dans Champion (p. 154-162).
  2. Flammermont, Senlis pendant la guerre de Cent ans (p. 245).