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découpent sur le ciel bleu : de la blancheur neigeuse émerge la pointe du Gaurisankar-Everest.

Le Maharaja premier ministre, son frère le général commandant en chef et beaucoup de généraux et maharajas nous attendent, au milieu de la pelouse, sur une double terrasse superposée, autour du tronc d’un arbre sacré dont la ramure centenaire porte un feuillage léger. Les présentations commencent. En attendant la venue du Roi, le premier ministre m’invite à passer en voiture devant le front des troupes composées d’infanterie et d’artillerie avec ses petits canons de campagne. Derrière les soldats une foule joyeuse, aux costumes multicolores qui éclatent dans la lumière du soleil, est perchée dans les arbres, grimpée sur quelques pavillons ou disséminée dans les prés. A peine avons-nous parcouru la moitié du cercle qu’un cavalier nous rappelle : le Roi est arrivé avec son état-major où il compte beaucoup de frères, Kchatryas des montagnes, véritables Rajpoutes, fils des Thakours, comme la lignée de. Jang Bahadour, tous Maharajas, issus de Dravia Sali, le conquérant du XVIe siècle et l’ancêtre de tous ces seigneurs Gourkhas. Le Roi n’est que le symbole extérieur de la royauté, une sorte de monarque mérovingien aux mains des maires du Palais. Ce gros garçon est évidemment d’une intelligence calme, il sait peu l’anglais d’ailleurs, et ne fait que tendre l’oreille. Il ne paraît pas savoir bien exactement que faire de son personnage. Depuis plus d’un siècle, la réalité du pouvoir est aux mains du Maharaja premier ministre, assisté d’un conseil composé des principaux seigneurs du royaume. C’est lui qui nous reçoit : Chander Sham Sher Jang Rana Bahadour a une figure ouverte, pétillante d’intelligence, exprimant, dans les traits et dans le regard, l’habitude héréditaire du commandement. Il est très au fait des formes et de la courtoisie européenne qui facilitent l’accueil et servent en même temps de défense.

La parade commence pur une canonnade. Chaque pièce lire six coups ; les feux se succèdent à intervalles réguliers, la fumée s’élève en nuages épais, la montagne change la détonation en bruit de tonnerre, les chevaux se cabrent, quelques-uns s’affolent. Le spectacle est magnifique. La musique militaire joue à l’européenne avec un talent surprenant. La revue s’achève par une marche connue qui éveille des souvenirs dans mon oreille, tandis qu’un officier supérieur, monté sur le cheval du