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Ici non plus, le temple n’est pas isolé ; des annexes, des chapelles, des décors, quelquefois plus importuns que l’édifice primitif, se groupent autour du monument. Lenclos sacré mérite véritablement le nom de Poura (ville), qu’il reçoit parfois dans la nomenclature religieuse et qui s’applique si bien au Swayambhounath, et mieux encore à l’immense et pittoresque ensemble de Paslipati, le sanctuaire hindou le plus honoré du Népal. Des ouvriers se hâtent de nettoyer, pour la Dessera qui commence demain, le vieil hémisphère bouddhique couvert de mousse que les singes et les oiseaux souillent abondamment. La gent simiesque pullule près des temples qui lui assurent une nourriture abondante ; car les offrandes que déposent discrètement les fidèles sont avidement guettées et souvent détournées avant de parvenir au prêtre, lama ou pujari[1].

Le second escalier mon le droit, d’un seul jet. Il est dominé, sur la plate-forme, par un vajra en cuivre, long de près de deux mètres, posé sur un large et très vieux piédestal rond et sculpté qui représente l’année tibétaine en une ronde de douze animaux désignant chacun l’un des douze mois. Le vajra, le « foudre d’Indra, » est privé de trois de ses cornes qui sortent de la bouche de l’éléphant, le dieu Ganesa ; c’est pourquoi j’hésite un instant à l’assimiler au dordja, petite tige à chaque extrémité de laquelle viennent s’arc-bouter quatre défenses d’éléphant liées en faisceau par un anneau central et que j’ai rencontré si souvent au Ladak dans la main des lamas en prières.

Le vajra du Swayambhou fut élevé au XVIIIe siècle par ce même Pratapa Malla qui, pour charmer et distraire son épouse, fit creuser la Rami-Pokhri. Le Bouddhisme a emprunté le « Foudre d’Indra » au Brahmanisme ; le souverain du Panthéon Védique, qui le brandissait contre ses ennemis, « souffrit un jour l’humiliation » de le céder au Bouddha, et il est devenu l’emblème de puissance le plus sacré du prêtre bouddhiste. Ses cornes recourbées se retrouvent dans la flèche des tchaityas ; il forme encore la poignée symbolique de la sonnette de la pagode bouddhique et du fourba aux trois lames que les Tibétains jettent aux mauvais esprits. Le vajra est devenu comme un mot de passe dans les développemens modernes du Bouddhisme au Népal et au Tibet ; il est ici considéré, dans des spéculations

  1. Officiant hindou.