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d’humain. Beaupère arriva à Bâle, le 2 août ; comme la plupart de ces universitaires, vil siégea au Concile et y joua un rôle considérable. On le voit parcourant les grandes routes de l’Europe, en quête d’affaires et d’argent, à Bâle auprès du Concile, à Bologne auprès du Pape, à Rouen auprès de ses confrères du Chapitre où il travaille à défendre son canonicat. Il finit par s’arrêter à Besançon où il mourut, en 1462 ou 1463, longtemps après la restauration complète du royaume de France et la réhabilitation de la Pucelle.


Tous ces hauts personnages sont donc réunis autour de Jeanne : les violens d’Angleterre, les habiles de Bourgogne, les doctes de Paris. Un seul fait défaut, Charles VII. Mais Jeanne le représente, plaide sa cause et la maintient. Elle est venue ici pour achever sa mission et reprendre Rouen, — puisqu’elle y meurt.

Le procès va s’engager. Certes les motifs ne manquent pas. Ces clercs savans et nombreux ont compulsé leurs livres : ils y ont trouvé des précédens, des exemples et des raisons ; mais la véritable raison est celle qui n’est écrite nulle part, à savoir que cette femme, en prenant parti pour la cause qu’ils ont quittée, les a jugés : c’est pourquoi ils la jugent.

Il y eut, sans doute, des causes secondes, l’exemple, la servilité, la vénalité. L’argent fut prodigué. On a les comptes de quelques-uns des paiemens faits, notamment à l’évêque de Beauvais, au vicaire de l’Inquisiteur, aux six universitaires. Cauchon toucha, assure-t-on, une somme équivalente à cent mille francs de notre monnaie. Pour les six universitaires, on trouve mention de sept cent cinquante livres tournois, ce qui représente, environ, trente mille francs, valeur actuelle. Il veut aussi les prébendes, les bénéfices, les promesses, les espérances…

Mais tout cela n’est que l’accessoire et n’explique pas l’élan, l’entrain, la passion des clercs français, des évêques, des prélats, des moines, des docteurs, des universitaires : une seule chose l’explique, c’est la mystique influence de la décision prise, par tous ces hommes, une fois, il y avait longtemps, à l’heure décisive, contre la patrie.

Certes, les frontières paraissaient bien incertaines alors, le sentiment national bien diffus, les hiérarchies féodales bien complexes et bien fuyantes. Cependant, parmi ces transfuges, il