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lit, immobile, les yeux ouverts. Elle est seule, sans un conseil, sans un appui terrestre, sans un prêtre, privée des sacremens, toute mince petite fille, obsédée par ces cinq Anglais, ces houcepailliers, qui, le blasphème et l’injure à la bouche, ne la quittent ni jour ni nuit.

Là, pendant près de deux mois (fin décembre 1430-23 février 1431), avant de voir âme qui vive, sauf ses gardiens, elle réfléchit, elle écoute. Elle écoute au dedans d’elle-même ; elle écoute ses voix qui, maintenant, ne la quittent plus.

A la suivre, au cours de ses interrogatoires, on voit bien qu’elle a arrêté une ligne de conduite : elle veut vivre, elle espère et elle attend. Son optimisme essentiel ne l’abandonne pas. Elle a laissé derrière elle des semences de fidélité et d’héroïsme ; elle calcule, elle suppute le temps nécessaire, les chances. Sa mission n’est pas accomplie ; donc l’heure de la délivrance sonnera. Les voix le lui répètent chaque jour ; elles ne mentent pas : elles ne lui ont jamais menti.

Elle luttera. Elle vivra. A ce dessein, elle consacre toutes ses forces, tout son courage, toute sa clairvoyance, toute sa présence d’esprit. Elle ne se laissera pas surprendre ; elle sera vigilante au sujet des deux choses qui lui tiennent le plus à cœur, sa virginité et sa vie, puisqu’elles sont les instrumens de sa mission. Il faut, qu’en cas d’alerte, elle soit pure toujours et prête tout de suite. D’où la nécessité capitale de ne pas quitter l’habit d’homme qui est sa sauvegarde et le symbole vivant, pour elle et pour les autres, de ce qu’elle est et veut être.

Sa mission : elle vivra pour cela, mais elle sacrifiera tout à cela, même la vie. Elle est venue « pour sauver le royaume de France, » et elle est venue « de par Dieu : » ce sont les deux points intangibles : la mission et l’inspiration. De cette double affirmation qui est sa forteresse, rien ne l’arrachera, ni séduction, ni crainte.

Or, c’est justement sur ces deux points que va porter l’effort des juges : abolir la mission, nier l’inspiration ; établir qu’elle n’a pas été envoyée « par Dieu » vers « le Roi ; » redresser la croyance populaire que ses sortilèges ont faussée ; lui arracher cet aveu, ce double aveu.

Si l’on n’obtient pas ce résultat, le procès est manqué : autant la faire périr tout de suite. Si elle n’annihile pas, elle-même, le secours prestigieux que son intervention a apporté à