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des trêves qui ainsy sont faictes, je ne suy poinct contente et ne scay si je les tendrai ; mais si je les tiens, ce sera seulement pour garder l’onneur du Roy ; combien aussi que ils ne cabuseront point le sang roial ; car je tendroy et maintendroy ensemble l’armée du Roy pour estre toute prête au chieff desdiz quinze jours si ils ne font la paix[1]. »

Jamais elle ne fut plus irritée contre le Duc de Bourgogne. Fille de l’Est, elle lui en veut de ce que, par lui, souffre son pays ; elle lui en veut, plus, peut-être, qu’aux Anglais, dont, il se fait le complice et l’introducteur. Elle comprend que le péril majeur du royaume vient de cette défection ; elle veut bien le ramener au giron royal, mais non par de nouvelles concessions qui, au lieu de fermer la blessure, l’aggravent. Dans une lettre postérieure aux mêmes habitans de Reims, elle le qualifie, lui et les siens, « ces traîtres Bourguignons adversaires[2]. »

Toute sa pensée, elle la résume, en la forme vive qui lui est habituelle, quelque temps après la retraite sur la Loire. Comme on ne pouvait voiler cette claire lumière qu’elle répandait autour d’elle, on crut pouvoir la diminuer en suscitant une autre visionnaire, Catherine de la Rochelle ; le Père Richard, dont le rôle fut toujours des plus louches, « vouloit qu’on mist celle-ci en œuvre. » (Procès ; I, 107-119.) Jeanne n’eut pas de peine à démêler l’artifice. Elle renvoya Catherine « faire son ménage et soigner ses enfans. » Mais Catherine, instrument de l’intrigue, déclara « qu’elle voulait aller devers le Duc de Bourgogne pour faire paix. » Ce à quoi Jeanne opposa la parole célèbre et si juste : « Qu’on n’y trouveroit point de paix si ce nestoit par le bout de la lance. »

Voilà les deux systèmes en présence ; rien n’est plus clair. Charles VII avait le choix entre l’espoir fallacieux d’une, paix implorée et l’énergique aléa d’une paix imposée ; il choisit contre Jeanne d’Arc et ses conseillers les plus judicieux et les plus braves. Remarquez que Jeanne d’Arc n’agit ici que d’après ses lumières propres, son bon sens, son courage. Son intuition politique, établie sur des faits et des documens incontestables, est infiniment au-dessus de tout ce qu’on peut attendre de la

  1. Dans Jadart, loc. cit. (p. 104). — Le fac-similé dans Maleissye (p. 7). — Lettre datée, tout militairement : « emprès Provins en logis sur champs ou chemin de Paris. »
  2. Jadart (p. 107).