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sentis blessés le jour où la Pucelle avait pris fait et cause pour Richemont. Ce faisant, elle avait prêté la balle aux favoris malfaisans, La Tremoïlle et ses compères. De quoi se mêlait-elle ?

S’il y avait, dans le royaume, quelqu’un que le Roi détestait, c’était l’homme, — peu traitable, d’ailleurs, — qui prétendait marcher de pair avec lui, surtout à la tête des armées. Jeanne d’Arc n’avait pas aperçu ces dessous. Comme elle s’attachait au duc d’Alençon, parce qu’il était « du sang de France ; » elle n’avait vu, dans Richemont, que le bon soldat. Elle s’était jetée, tête baissée, parmi les ronces des partis, comme elle se jetait tête baissée sur le front des ennemis : brave, candide, sincère, la politique n’était pas son affaire : elle périssait par la politique.

Charles VII et Jeanne d’Arc accomplissaient l’un et l’autre leurs destinées ; elle allait à la mort et lui à la victoire : ce ne sont pas les mêmes voies.

Le Roi n’en avait pas moins gravement péché, péché contre le cœur, et, à supposer que cela ne compte pas pour les princes, il avait péché contre l’intelligence en se laissant prendre si facilement à ce piège de la paix de Bourgogne. Preuve incomparable du génie divinatoire de Jeanne d’Arc : dans ces circonstances où ses voix ne la guident pas, elle découvre, mieux que les plus fins limiers, la tactique décevante et les avances illusoires du Bourguignon.

Son opinion sur les trêves et sur la politique du Roi et de ses conseillers, elle l’exprime avec une netteté absolue dans une lettre adressée, dès le 5 août, aux habitans de la ville de Reims. Emus du bruit qui courait déjà que le Roi allait quitter la région de la Seine pour se replier vers la Loire, ils avaient envoyé à la Cour pour supplier le Roi de ne pas les abandonner. Jeanne d’Arc a pris position, dès lors, contre les arrangemens bâtards, elle qui, quinze jours auparavant, convoquait le Duc de Bourgogne au sacre et le suppliait « à mains jointes » de conclure la paix. Elle ne fait pas, entre les trêves et la paix, les confusions plus ou moins volontaires auxquelles le Roi et ses conseillers se prêtent. Elle écrit aux gens de Reims ; on ne saurait un meilleur exposé de cette situation embrouillée : «… Et est vrai que le Roi a fait trêves au Duc de Bourgogne, quinze jours durant, par ainsi qu’il li doit rendre la cité de Paris paisiblement au chieff de quinze jours. Pourtant, ne vous donnés nulle merveille si je ne y entre si brieffvement, combien que