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habite non pas le ciel, mais le cœur des vrais croyans. « Quand tu parles avec ton frère, tu parles avec Dieu. » La Bible n’est rien que du papier imprimé, si elle n’est expliquée par un chrétien « qui a l’Esprit. » Heureusement, tous les Lœstadieus ont l’Esprit, et on reconnaît qu’ils l’ont à ce qu’ils crient très fort. Ne raillons point leurs clameurs qui nous tympanisent, lorsque nous passons devant leurs maisons de prières, mais pas plus que les hurlemens des beaux messieurs de la Bourse. Songeons au silence de la nature polaire dont ils soulèvent un instant l’épouvantable torpeur, par ces cris qui, selon le mot si profond de Lœstadius, empêchent leur cœur de se briser.

On n’osa point prononcer contre l’apôtre le bannissement de l’Église nationale. Mais on l’inquiéta, on le tracassa, on lui infligea des réprimandes. Il se présentait devant le chapitre sous un manteau de bure grise piqué du ruban rouge. Les accusations mal dirigées tombaient à ses pieds. Son œuvre surtout plaidait pour lui. Le nombre des femmes séduites et des enfans illégitimes décroissait chaque jour ; les voleurs s’étaient convertis ; le juge et le bourreau chômaient ; les femmes se dépouillaient de leurs bijoux pour les pauvres et pour les enfans des écoles. On avait fait entrer dans tous ces cerveaux, par des voies grossières, une moralité supérieure. Lœstadius, usé de labeur, mourut en février 1861, persuadé que le Rédempteur, le Roi couronné d’épines, ne l’abandonnerait pas. Il agonisa seul, dans une pièce presque vide et mal close aux courans d’air, étendu sur une peau d’ours, une peau comme celle dont un soir il avait vu le diable affublé se tapir sous son lit. On eût dit qu’il expirait sur sa victoire. Il était certainement de la famille des fondateurs de religion. Même aujourd’hui, en Finlande jusqu’à la frontière russe et du golfe de Bothnie aux îles Lofoten, le Lœstadianisme, malgré ses trépidations et son orgueil démesuré, reste une école de vertu, une école hyperévangélique, mais périlleuse en ce que l’exaltation mystique y confine à l’excitation sensuelle.

Et c’est bien là le revers du sectarisme suédois ! Je ne le crois pas responsable de toutes les folies dont les yeux hagards et les faces convulsées apparaissent aux fenêtres de sa légende. La forêt est une grande couveuse d’hystérie. D’ailleurs, le fût-il, je voudrais savoir si les perversions du mysticisme ont jamais causé autant de vilenies que nos simples vices très laïques. Mais il faut avouer que le chemin dont il a sillonné la