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biens ni honneurs ; « mais ils partageront les souffrances de Jésus. » Et là-bas, ils rassasieront, ne fut-ce qu’une heure, leur magnifique appétit de lumière et de nouveauté…

Les femmes sont les plus vaillantes au sacrifice. Selma Lagerlöf n’a pas oublié qu’elles l’ont toujours été, et que, dans tous les mouvemens religieux, elles se sont signalées au premier rang. C’est par elles qu’ils s’étendent ; c’est en elles que les tribunaux exaspérés se heurtaient jadis à la résistance la plus opiniâtre. Dans la première partie du XIXe siècle, une fille de ferme, qu’on appela plus tard la Mère Anna, fonda la communauté de l’Eglise libre évangélique luthérienne, où, jusqu’en 1875, elle prêcha et expliqua les Saintes Écritures. Les ténèbres de l’Ostrogothie eurent aussi leur sainte, une jeune fille, Helena Ekblom, qui fut persécutée, emprisonnée, mise aux fers, séquestrée dans un cabanon, enfin relâchée. Dès l’âge de quatre ans, elle avait vu Jésus. Sa figure d’illuminée est comme une apparition de la Légende Dorée dans la forêt suédoise. Elle jeûnait ; elle dormait par terre ; elle voyageait toujours vêtue de blanc. Quand la porte de l’hospice lui fut ouverte, elle reprit sa vie errante de prédications et de prières.

Les personnages de Selma Lagerlöf ne nous appartiennent plus, lorsque, après avoir gravi leur calvaire de renonciation, ils parviennent en chantant à la petite gare déserte, d’où le train les emportera. Nous ne les suivrons pas à Jérusalem. Je crois que l’auteur, malgré les beautés d’un second volume, eut tort de les y accompagner. Nous savons trop quelles lugubres déceptions les guettent sur le rivage et désormais s’attacheront à leurs pas. Mais il était naturel que Selma Lagerlöf voulût nous les peindre, puisqu’elle était allée en Palestine et qu’elle y avait visité leur colonie douloureuse.


Restons en Suède. Ce sectarisme intermittent et insurrectionnel a-t-il eu la stérilité de tant d’agitations politiques ? Je suis convaincu que la Suède lui a dû en grande partie son relèvement moral. Presque partout où les communes en ont tremblé, nous voyons les mœurs s’épurer, l’alcoolisme diminuer, des ennemis se réconcilier, des objets volés retrouver le chemin de leurs propriétaires. Ni l’eau-de-vie ni le sang ne coulent avec la même abondance. Le virulent idéalisme des