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réclament des remèdes précis. Je demandais à un pasteur, qui déplorait le progrès des sectes dans sa commune, à quels mobiles les paysans obéissaient, quand ils sortaient de l’Eglise nationale. Il me répondit que c’était chez eux un effet de contagion bien plutôt que de réflexion personnelle. On va au prêcheur le plus couru, et il est le plus couru parce que deux ou trois personnes « réveillées » ont dit qu’il fallait y courir. J’admirai que le pasteur ne sentît pas la gravité de sa réponse, car enfin, si trois siècles de libre examen n’ont pas mis les paysans suédois en état de choisir avec discernement la chapelle qui leur convient, qu’est-ce donc que la « Bible ouverte, » et ne serait-elle accessible qu’aux gradés d’Upsal ? Mais je crois qu’involontairement le pasteur calomniait un peu ses infidèles. Leur mysticisme s’additionne de rationalisme. Ce rationalisme est, comme presque toujours, un composé de raison et de puérilité. Ainsi les anabaptistes doivent le plus clair de leur succès à leur argumentation sur le baptême. Pourquoi baptiser les enfans qui n’ont aucune conscience ? Pourquoi ne pas imiter le Christ qui ne fut baptisé qu’à trente ans ? Le paysan religieux, lorsqu’il souffre des facultés inemployées de son âme et de la sécheresse du culte officiel, reproche moins à ses pasteurs de ne pas fournir d’aliment à sa sensibilité que de ne pas contenter sa raison. Il se trompe sur la cause d’un malaise qui résulte au contraire d’un abus de raisonnemens. Le génie créateur de Selma Lagerlöf ne s’est point embarrassé de froides analyses ; mais elle a gravé ce trait si protestant sur la figure de ses principaux personnages. Ils seront conquis par un homme sans éloquence et dont la parole, terriblement simpliste, a une rectitude qui séduit leur intelligence avant d’entraîner leur cœur.

Il revient des États-Unis, l’Eldorado des ambitions suédoises, le pays où la vie est riche et où le possible semble illimité. C’est un ancien ouvrier, un grand homme brun, avec une barbe épaisse, des regards aigus et des mains de forgeron. En dehors de son expérience pratique, il n’a d’instruction que celle qu’il a tirée de sa Bible. S’il a fait la moitié du tour du monde, c’est, pour ainsi dire, dans l’arche de Noé. Jadis il essaya de vivre selon l’Evangile, ce qui le conduisit tout droit en prison, car ses camarades d’atelier, comprenant quel homme il était, se déchargèrent sur lui d’une partie de leur besogne, puis lui enlevèrent sa place, enfin lui laissèrent porter la peine d’un vol qu’il