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Et les Pasteurs ? Les Pasteurs se garaient de leur troupeau déchaîné. Les uns, — je parle de cinquante ou soixante ans, — ne se conduisaient pas mieux que les moines fustigés par Erasme et par Luther. Ils buvaient plus qu’ils ne paillardaient ; mais ils paillardaient tout de même ; et l’on en dénonce qui vendaient de l’eau-de-vie. Du reste, l’ivrognerie les déconsidérait moins que la pesante nullité de leurs prônes. Les vieilles gens de Löfanger, dans le Västerbotten, parlaient encore en 1860, les larmes aux yeux, d’un pasteur qui ne prêchait jamais aussi bien que le lendemain d’une bonne rixe et d’une ivresse à tout casser. Il voyait alors, disait-il, un grand chien noir qui le guettait dans l’escalier de la chaire, mais qui n’avait aucun pouvoir sur lui tant qu’il était au service du Christ. Celui-là du moins paraissait d’encolure à se mesurer avec les démons et les diablesses. Il exorcisa un possédé en lui fermant la bouche d’un violent coup de sa Bible. Ses confrères bâtonnaient quelquefois les apôtres assez impertinens pour prêcher à leur place, et n’obtenaient aucun résultat. Mais il faut remarquer que, si mauvais et si tyrannique que fût le curé, les hérétiques ne le molestaient jamais. Les autres pasteurs, quand ils ne se retranchaient pas dans la morgue du théologien, devaient ressembler déjà à celui de Selma Lagerlöf. Pendant que leur paroisse se démenait, ils appliquaient, comme lui, toute leur raison à rechercher « comment Dieu gouverne » et à dépister la Providence.

Ces soulèvemens endémiques des campagnes suédoises s’apaisent souvent aussi vite que les tempêtes sur les lacs, à moins qu’un homme ne se présente qui prononce les paroles attendues et qui donne une forme tangible aux aspirations de la foule. C’est le troisième événement, et le plus décisif, que nous décrit l’auteur de Jérusalem Les Prêcheurs, qui s’étaient succédé dans la maison de prières, n’avaient opéré que des conversions passagères, des élancemens bientôt suivis de dépression. Ils terrifiaient leur auditoire ; avec eux on n’arrivait à la prairie céleste qu’à travers des forêts embrasées et d’affreux chemins où s’ouvraient à chaque pas les trappes de la damnation. L’épouvante guérit mal de l’angoisse et ne soulage point de l’inquiétude. Pour mystiques qu’ils soient, les paysans n’en conservent pas moins leur sens pratique. Les misères du monde les ramènent à l’idée de justice ; et, du fond de leurs extases, ils