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aimable et doux, « petit, à la poitrine plate et au front chauve, » très vif et très alerte quand il les entretient de leurs affaires, mais timide, rougissant et balbutiant, dès qu’on aborde les questions religieuses. Je ne pense pas que Selma Lagerlöf ait eu l’idée d’incarner dans cet Upsalien affaibli son Eglise nationale. Elle était moins préoccupée d’agencer des symboles que de peindre des personnages réels. C’est précisément pourquoi son pasteur me semble si représentatif. Dans le rôle de témoin effacé qu’il joue à travers le roman, dans son impuissance à disputer les âmes aux aventuriers mystiques, je retrouve la fréquente faillite de l’Eglise d’État devant les mouvemens religieux qui, depuis deux siècles, ont déferlé sur la campagne suédoise. Il est l’homme le plus intelligent de la commune ; du premier jour, il a prévu le mal ; il en suit la marche d’un regard « où brille parfois un éclat singulier ; » mais ses paroissiens, qui continuent à lui rendre leurs devoirs de politesse, tiennent son enseignement pour de la viande creuse. Jadis il eût appelé à son secours les sergens, les juges, les geôliers, la corde et le carcan. Aujourd’hui, réduit aux ressources de la persuasion, ce fonctionnaire bienveillant assiste, immobile, au triomphe de l’hérésie. En 1830, dans une contrée de l’Ostrogothie, un pasteur faisait passer l’examen de famille chez un fermier qu’il soupçonnait d’appartenir à la secte des Liseurs. L’examen terminé, les gens s’éloignèrent vite et silencieusement. Pendant que la maîtresse du logis mettait le couvert, il se prit à regretter de ne pas avoir apporté son violon, car, dit-il, « la jeunesse ne serait pas partie si tôt. » — « Qu’à cela ne tienne ! lui répondit l’hôtesse. Nous en avons un très bon. Si seulement monsieur le pasteur sait s’en servir, je rappellerai les gens, et ils reviendront. » Elle sortit et lui apporta une énorme Bible : « Voici le meilleur violon, dit-elle, et nous ne demandons qu’à danser d’après ses mélodies. Mais, pendant tout l’examen, je n’ai pas entendu Monsieur le Pasteur en tirer une seule note claire et pure. » Le pasteur de Selma Lagerlöf n’essaie même pas de jouer du violon…

Trois événemens vont se produire dans la commune dont le bruit et les conséquences étouffent bientôt l’harmonium de son église. Le vieux maître d’école, qui est pourtant son ami, mais qui est encore plus l’ami de Dieu, — mon Dieu, défendez-nous de vos amis ! — le vieux maître d’école a convaincu les notables