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ses bêtes, la vieille en filant sa quenouille, la cuisinière en laissant tourner les sauces. Le pasteur arrive, s’installe, questionne, s’enquiert des absens, et, s’il trouve un enfant qui ne sache pas encore lire, il menace de le faire réquisitionner par la police. C’est l’Assemblée Paroissiale qui nomme les instituteurs ; et c’est le Chapitre de l’évêque qui choisit les inspecteurs des Écoles Communales. L’Archevêque d’Upsal remplit les fonctions de Prochancelier de l’Université. Je me hâte d’ajouter que son autorité ne pèse à personne et que personne ne semble gêné de la mainmise des théologiens sur l’éducation nationale. Mais enfin, si l’action du temps et l’influence du siècle ont émoussé ou rouillé les armes dont se servait l’Eglise et dont elle se sert encore, ces armes n’en accusent pas moins la force et la portée du cléricalisme suédois.

Quant à son esprit, il était rude, non sans grandeur. Mais il a perpétuellement oscillé de la rigueur d’un christianisme primitif à la mollesse d’un rationalisme pratique ou sentimental. J’ai relevé dans la vieille Liturgie des traces de cette rudesse. Le rituel des suicidés qu’on enterre « sans cloche » a une telle beauté sombre que, lorsque, au dernier Concile de Stockholm, on proposa de le modifier, la proposition fut repoussée sur la réflexion d’un des membres que tout le monde serait heureux d’être enterré à ces mots du début : « Pauvre mort ! » Ne sommes-nous pas tous en effet de « pauvres morts ? » J’ai retenu aussi l’admirable prière que le pasteur prononce devant la femme dont l’enfant est né après les fiançailles et avant le mariage. C’est une des prières les plus fréquemment employées, car la Suède compte parmi les pays du monde où les enfans illégitimes sont le plus nombreux. Je rendais un jour visite à un pasteur dans une paroisse de la Dalécarlie. Il s’excusa de ne pouvoir me garder longtemps. Il partait pour un mariage. Mais un coup de téléphone l’avertit qu’il eût à faire dételer sa voiture, la fiancée étant prise des douleurs de l’enfantement. « C’est la quatrième depuis un an ! » soupira-t-il. Un autre gémissait de ce qu’on ne se mariait plus à l’église. « Nos paysans voudraient que la mariée portât la couronne ; mais la mariée a toujours perdu le droit de la porter ! On essaie des accommodemens ; on leur offre une couronne qui ne ferme pas, un diadème, quoi ! Ils préfèrent nous appeler à domicile. » Et j’avais envie de répondre : « Ne boudez pas contre l’occasion de réciter une des prières de votre