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et, là, devant un public immense, il renouvelle, « les mains levées, » le serment de vengeance et de haine contre le Dauphin et ses partisans, fauteurs de l’assassinat du pont de Montereau.

En même temps, il combine une reprise générale des hostilités, d’accord avec les Anglais. Le régent Bedford n’en était plus à ses propos sur les « oisillons. » Il sent la politique d’Henri V si menacée que rien ne lui coûte pour la sauver. Philippe le faisait passer par où il voulait. Des paroles furent échangées dès lors ; la satisfaction de Bedford en témoigne ; restait à rédiger les actes et à trouver les formules.

Philippe met ce délai à profit pour se retourner vers Charles VII et jouer plus serré encore, de ce côté. A peine a-t-il quitté Paris que, de Laon, il envoie des ambassadeurs à Reims ; ils arrivent exactement le lendemain du sacre (18 juillet) ; toutes ces démarches sont combinées avec une précision méticuleuse : et c’est, maintenant, avec le Roi, couronné de la veille, qu’il traite.

Que va-t-il promettre de ce côté et que va-t-il obtenir ? Ce qu’il va promettre, c’est la paix, — éternel et décevant mirage ; ce qu’il va obtenir, c’est la trêve qui arrêtera l’armée royale en plein succès, brisera l’élan de la Pucelle, épuisera les maigres ressources du trésor royal, tandis que le duc pourra offrir cette garantie inespérée au régent Bedford, en échange des conditions qu’il compte bien lui imposer : voilà qui est joué !

Suivons le détail. Le lendemain du sacre, les ambassadeurs du duc arrivent à Reims ; ils accompagnent sans doute le Roi à Corbeny, à Vailly, à Soissons, à Château-Thierry ; car c’est avant le 3 août, probablement dans les derniers jours de juillet, qu’ils obtiennent une première trêve de quinze jours. Il est entendu, en même temps, que le Roi enverra une ambassade à Arras auprès du duc, pour traiter de la paix. Cette ambassade est composée des « Bourguignons » de la Cour : à sa tête le chancelier Regnault de Chartres. La Pucelle commence à ouvrir les yeux : c’est le moment où elle exhale ses premières plaintes à ses amis de Reims qui craignent d’être abandonnés[1].

Tandis que l’ambassade, qui se rend à Arras, y arrive dans les premiers jours d’août, le Roi et la Pucelle poursuivent leur route vers Paris par Soissons, Château-Thierry, Provins. Charles VII s’arrête quelques jours dans cette ville à délibérer. L’apparition

  1. Voyez Jadart, loc. cit., et Maleissye, fac-similé de la lettre du 5 août, p. 7).