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que la sienne ! Au salon bleu on s’occupait de littérature, de bel esprit, de vers galans, de madrigaux, de la réforme du vocabulaire ; la politique était sévèrement interdite, on n’était réuni que pour se délasser et se détendre l’esprit, et quand on raisonnait, c’était sur les devoirs de l’honnête homme et sur les peines que la précieuse était en droit d’attendre de son mourant. Chez Mme Geoffrin, la littérature est sur l’arrière-plan ; on aborde des sujets élevés, des idées graves, et on les discute avec une sorte de frivolité géniale ; la théologie, la philosophie, l’Encyclopédie, l’abolition de la torture, l’Almanach des Muses, aussi bien que la qualité des blés, toutes matières à causeries ; et à propos même de la qualité des blés, on trouve moyen tour à tour de rire ou de s’attendrir.

On a souvent reproché le bel esprit à Marivaux. Le bel esprit n’est un défaut que lorsqu’il exclut les grandes inspirations, les grands mouvemens de l’âme. Il n’est condamnable que lorsqu’il fait la guerre au cœur et à la nature. On a aussi critiqué le marivaudage. Distinguons ; tout marivaudage, si on le veut, est critiquable, mais je demande grâce pour le marivaudage de Marivaux : « Marivaux, disait Voltaire, passe sa vie à peser des riens dans des balances faites en toile d’araignée. » Mot injuste, auquel Marivaux répondit que, de son côté, Voltaire représentait la perfection des idées communes : « Non, je n’ai point de manière, disait encore Marivaux, j’ai le style de mon sujet. »

Et il avait raison. Car enfin, qu’est-ce que le marivaudage ? C’est un style un peu recherché, je le veux bien, un peu subtil. Mais pourquoi ? Parce qu’il est toujours à la quête de la nuance juste et que, pour peindre certaines choses, c’est d’une nuance de nuance qu’a besoin l’écrivain.

Quand on étudie les détails, les infiniment petits du cœur sensible, ne faut-il pas s’aider du microscope ? Le marivaudage est le style microscopique ; et quand on reprochait à Marivaux d’avoir couru les sentiers du cœur humain, il pouvait répondre qu’il est des endroits où les grandes routes ne sauraient passer. Et d’ailleurs, je le répète, au milieu de toutes ces subtilités, les grands traits ne manquent pas, et, au travers de tout ce bel esprit, la voix du cœur se fait entendre.

La poésie du XVIIe siècle nous offre bon nombre de figures qui imposent par leur grandeur héroïque, par la noblesse de