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salon de Mme Geoffrin ; car Mme de Miran est l’amie de Mme Dor-sin qui, de l’aveu même de Marivaux, est Mme Geoffrin, cette puissance sociale dont l’influence fut si grande et si respectée.

Mme Geoffrin, avec sa mise toujours noble et simple, ses robes d’une couleur austère, sa résille nouée sous le menton, et dont le salon fut, comme on le sait, le lieu de réunion des princes, des ambassadeurs, des financiers, des bourgeois de bon ton, des architectes, des savans, des gens de lettres, de tous ceux enfin qui avaient un nom ou du mérite, république que Mme Geoffrin s’entendait à gouverner en y maintenant le bon ordre et la paix. Mme Geoffrin réussit à réaliser cet idéal de la bonne compagnie dont Duclos disait : « Mme Geoffrin qui savait également donner de l’esprit à l’ennuyeux abbé de Saint-Pierre et empêcher Diderot d’en avoir trop, qui voulait que la raison eût de la grâce et que la gaieté eût souvent un air de raison ; et dont le seul défaut était d’aimer à conseiller ses amis et d’aimer aussi un peu trop à les gronder, mais qui, au demeurant, leur permettait tout, sauf quatre choses, à savoir : d’élever trop la voix, de prêcher ses sermons, de conter ses contes, et de toucher ses pincettes. » Mme Geoffrin qui cultivait son bonheur comme sa santé et qui rendait tout le monde heureux autour d’elle, tout le monde, même son mari, car M. Geoffrin ne demandait pour être heureux qu’à être oublié et on le servait à souhait. Pauvre M. Geoffrin ! Son épitaphe fut courte. Un jour, un étranger. demanda ce qu’était devenu ce vieux monsieur qui assistait régulièrement aux dîners et qu’on ne voyait plus : « C’était mon mari, répondit-elle, et il est mort. »

Oui, c’est auprès de Mme Geoffrin que l’heureuse Marianne apprend à connaître la bonne compagnie, et voici la description qu’elle en fait : « J’étais née pour avoir du goût, et je sentis bien avec quels gens je dînais. Ce ne fut point à force de leur trouver de l’esprit, que j’appris à les distinguer ; pourtant il est certain qu’ils en avaient plus que d’autres, et que je leur entendais dire d’excellentes choses ; mais ils les disaient avec si peu d’effort, ils y cherchaient si peu de façon, c’était d’un ton de conversation si aisé et si uni, qu’il ne tenait qu’à moi de croire qu’ils disaient les choses les plus communes. Ce n’était point eux qui y mettaient de la finesse, c’était de la finesse qui s’y rencontrait ; ils ne sentaient pas qu’ils parlaient mieux qu’on ne parle ordinairement, c’étaient seulement de meilleurs esprits que d’autres… On accusa