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entre quelques hommes de lettres sous le titre, je crois, de Ligue pour la défense de l’art, a peu fait parler d’elle. Elle a cependant publié en forme de manifeste une petite brochure où les amis de la morale ne sont naturellement pas ménagés.

Une autre est plus active. C’est, sous la direction de prétendus libraires, un syndicat de marchands de journaux embrigadés par les industriels de la presse qui les font vivre. Ils se disent 47 000. Nous ne prétendons pas assurément qu’il y ait, entre lui et les hommes de lettres dont il vient d’être parlé, aucun rapport. Il a son action propre. Elle est fort habile. Voici en quoi elle consiste. Affectant de prendre en main la défense, fort intéressante d’ailleurs, de ces humbles travailleurs qu’il dit injustement persécutés par les ligues qu’on connaît, le syndicat a adressé à tous les membres de la précédente Chambre des députés un véhément manifeste. Il y signale la monstrueuse interprétation donnée par ces ligues aux lois sur la Presse, leur zèle intolérable et la complaisance des tribunaux à leur égard. Sa conclusion est un appel aux législateurs pour une révision urgente de la loi sur les outrages aux mœurs. Ajoutons qu’il se vante d’avoir reçu un grand nombre de réponses favorables.

Il ne dédaigne pas en outre de faire appel à l’action directe.

Diverses sociétés contre la pornographie, celles de Bordeaux, de Montpellier, du Creuzot, d’Orléans, une de celles de Paris avaient cru devoir prévenir les libraires et marchands de leur région qu’ils s’exposeraient à des plaintes de leur part, s’ils mettaient en vente des publications ou images obscènes.

Les présidens des deux premières ont été menacés par lettres rendues publiques de poursuites en diffamation. Pour les autres, des instances ont même été engagées, soit par l’association elle-même, soit par un de ses membres, propriétaire d’un des journaux les plus audacieusement licencieux. Une de ces demandes est de 20 000 francs de dommages-intérêts. Elle est encore en suspens. Une autre de 140 000 francs, repoussée en première instance, est en appel. Tout cela est sans doute trop cousu de fil blanc pour qu’il y ait lieu de s’en émouvoir.

Mais, à côté des intéressés, se trouve la multitude des gens de bonne foi, inattentifs ou indifférens, gens d’affaires ou gens du monde qui nient parce qu’ils n’ont pas reçu les prospectus ignobles, parce qu’ils ne s’arrêtent pas aux étalages, parce qu’ils n’ont jamais ouvert un journal licencieux, et auxquels il coûte