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détourner les yeux dans la rue, à fermer le livre commencé, à trembler sans cesse pour la pureté de ses enfans, elles ont encore, et je parle ici principalement de la femme française, le détestable effet de propager à l’étranger les plus étranges calomnies. « Vraiment, disait récemment dans un salon, un étranger distingué, grand ami de notre pays, on ne connaît pas à l’étranger la femme française. On célèbre sa beauté, sa grâce, son esprit, on ne se doute pas de ses vertus intimes. La faute en est à vos journaux illustrés, à votre littérature elle-même. Il a fallu que je fisse un séjour prolongé chez vous pour me rendre compte de ses rares qualités. »

Et comment en pourrait-il être autrement lorsque tant de journaux, de romans, de pièces de théâtre ne cherchent leur succès que dans les peintures de la passion libre, de la révolte contre la loi morale, de l’adultère ?

C’est aux feuilles illustrées qu’il faut, dit-on, surtout s’en prendre. Certaines d’entre elles, et ce sont celles qui se répandent le plus au dehors, ne sont-elles pas exclusivement consacrées à la glorification de l’amour sans frein, de la vie de plaisir, de la débauche ? De la première à la dernière ligne, tout, récits, anecdotes, faits divers, annonces, dessins, y respire la sensualité. Toute femme y est facile, prête à l’amour, perverse.

Ainsi les étrangers, trop enclins à juger de nos mœurs par ces peintures dégradantes qui n’en sont que la calomnieuse et détestable parodie, crient à la dépravation française, et s’enorgueillissent de leur prétendue supériorité morale, alors que, suivant l’expression si juste de Jules Simon, c’est l’apport de leurs vices qui est si souvent l’élément principal de notre apparente corruption.

Un autre point de vue, des plus graves, est le discrédit jeté par ces productions infâmes sur la littérature et les arts d’un pays. Il a été brillamment mis en lumière chez nous par de récentes manifestations. Voici celle qu’a faite au Congrès privé de 1908, au nom de la Société des Gens de lettres, son président M. George Lecomte : « Au nom de la Société des Gens de lettres, c’est-à-dire au nom de l’immense majorité des écrivains français, j’ai l’honneur de vous apporter une très ferme protestation contre l’industrie pornographique qui discrédite dans le monde notre littérature, compromet son rayonnement et porte atteinte à la légitime influence de notre pays…