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CONVERSION


Jadis, dans mon pays il vint un grand prophète.
Ce qu’il disait aux gens assis au bord de l’eau
Était si plein d’audace et tellement nouveau
Que les vieux, les prudens, en perdaient tous la tête.

Moi, ça m’était égal : je n’y comprenais rien.
Qu’entend un pauvre esclave aux choses d’Écriture,
Aux lois qu’un sage fit et qu’un autre rature ?
Je souffrais, et voilà ! C’était mon lot de chien.

Un jour que je portais de l’huile à Béthanie,
Je vis des gens en pleurs sur le seuil d’un tombeau.
Comme l’outre était lourde et m’écorchait la peau,
La posant, je m’en fus à leur cérémonie.

Or, depuis quatre jours et trois nuits, dans ce trou
On avait mis un mort pourrir, et le prophète
Lui dit : « Sors ! » Aussitôt le mort leva la tête…
J’eus si peur que je pris mes jambes à mon cou.

Et depuis ce temps-là, quand il passait en ville,
Pour éviter ses yeux, — de peur des mauvais sorts, —
Ses yeux qui tout d’un coup font revenir les morts,
Je me voilais ; encor n’étais-je pas tranquille.

Mais un soir je vaguais comme un pauvre animal,
Hagard, désespéré… Pourquoi ? Peu vous importe.
Mon échine, c’est sûr, n’était pas assez forte
Pour emporter plus loin la charge de mon mal.

Je tombai. Dans mon cœur frappait un poing sonore.
Je le pressai contre une pierre, durement,
Pour l’engourdir ; et j’attendis sans mouvement
De souffrir un peu moins pour repartir encore.