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véritable destruction, puisque ce qui était un capital pour le particulier devient une simple recette budgétaire, noyée dans des milliards que le Minotaure dévore chaque année et dont il ne reste rien. Parmi tous les engins fiscaux dont les nations modernes se sont armées, il n’en est guère de plus dangereux que les droits successoraux. Les nécessités budgétaires peuvent justifier en cette matière des taxes modérées, proportionnelles, au besoin une échelle dégressive. Mais l’inexpérience et la courte vue des ministres et des parlemens ne tardent pas à dépasser la mesure, et la tentation de la progression est si forte que l’on court vite à l’excès.

On ne saurait s’élever avec trop de force contre les tendances d’une législation fiscale qui menace à la fois les bases de la famille, déjà si gravement atteinte par le divorce, l’alcoolisme et la stérilité volontaire, et les fondemens de la richesse. Nous n’ignorons pas qu’il est de mode d’attaquer celle-ci et de répéter au peuple que le capitaliste est son ennemi. Les mêmes orateurs ne cessent pas d’ailleurs d’exalter les ressources de la France, de parler du développement nécessaire de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. Ils paraissent ignorer que la fortune nationale n’est pas autre chose que l’addition des patrimoines particuliers : car si l’on voulait dresser l’inventaire de ce qui appartient en propre à l’Etat, on serait effrayé de l’exiguïté de la somme à laquelle on arriverait et de la médiocrité du revenu net que ce domaine fournit. Non seulement l’Etat ne tire rien ou presque rien de ce qu’il a, mais, si le malheur voulait que la quantité de biens qu’il gère augmentât sensiblement, on verrait entre ses mains


Comment en un plomb vil l’or pur serait changé,


et comment ce qui est bien administré par les particuliers dépérit dès que le fonctionnaire apparaît. Il faut que 38 millions de Français sèment, labourent et récoltent, pour apporter chaque année 4 milliards et davantage au percepteur. Plus on attaquera le capital qui produit les revenus capables de supporter un tel fardeau, et plus il deviendra difficile de réunir les ressources qu’exigent le soin de notre défense nationale et l’exécution des lois dites sociales.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.