Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Léon Say quand, il y a vingt-quatre ans, au cours des mémorables conférences qu’il fit à l’École des Sciences politiques sur les solutions démocratiques de la question des impôts, il s’écriait : « La fortune acquise n’est pas autre chose que le capital accumulé par les générations passées ; c’est le patrimoine de la génération présente, et on voudrait mettre ce patrimoine entre les mains de l’Etat. Il n’est pas nécessaire de se livrer à de bien longues réflexions pour arriver à cette conclusion qu’une nation se ruinerait bien vite si elle vivait sur son capital. Notre système financier a des imperfections, mais il serait extrêmement dangereux de le transformer pour donner une satisfaction théorique à des doctrines qui ne peuvent conduire notre pays qu’à la ruine. Les nouveaux impôts peuvent être désastreux s’ils atteignent le capital national, et ce sont ceux-là qu’on préconise. Un peuple n’a qu’une réserve, c’est sa richesse acquise, ses épargnes annuelles. Cette réserve suprême, il faut la défendre énergiquement contre ceux qui, en l’entamant, auraient donné le signal de la décadence irrémédiable de notre pays. »

Voilà les réflexions qu’inspiraient à l’un des hommes qui ont le mieux connu nos finances certains projets d’impôt sur le revenu ou sur le capital, qui s’agitaient vaguement alors et dans lesquels il voyait poindre des dangers d’inquisition et de vexation personnelle qui lui rappelaient les mauvais jours des républiques italiennes du moyen âge. Que dirait-il aujourd’hui, à moins d’un quart de siècle de distance, d’une loi qui établit la confiscation partielle des successions, et des menaces d’inquisition fiscale dont l’ « estimo, » le « catasto, » la table de possession de Florence, pourraient nous fournir l’image anticipée ?

La loi de finances de 1910 va déjà beaucoup plus loin, dans cette voie néfaste, que la plupart des autres législations étrangères. La Chambre avait même voulu y introduire des majorations de droits de 50 pour 100 en ligne directe, lorsqu’il n’y a qu’un héritier, et de 20 pour 100 lorsqu’il n’y a que deux ou trois descendans. Le Sénat s’est opposé à ces fantaisies, sur la portée desquelles il est inutile d’insister. Mais rien ne nous garantit qu’à la première occasion des propositions semblables ou de pires encore ne se reproduiront pas. Il importe d’éclairer l’opinion publique-sur la signification de mesures qui ne tendent à rien moins qu’à amputer de plus en plus largement le capital de la nation, sous prétexte d’en transférer une partie à l’Etat. Ce transfert est une