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trop lointaine serait souvent difficile à établir et pourrait donner lieu à des difficultés et à des procès de tout genre. En 1892, l’État français n’a recueilli que pour 2 millions de francs environ de successions en déshérence, alors que les successions testamentaires dévolues à des étrangers ont atteint 259 millions. L’ensemble des successions dévolues, la même année, à des parens compris entre le quatrième et le douzième degré, n’a pas dépassé 138 millions : la même proportion de déshérence que pour les successions d’étrangers eût donné à l’État 1 million.

Si du reste on veut se rendre compte des résultats que produit la concession temporaire de la plus importante des propriétés humaines, celle du sol, il suffit de considérer le « mir » russe, celle commune agraire où les terres donnent lieu, à intervalles réguliers, à des distributions entre les paysans. Les inconvéniens de ce régime sont apparus si clairement que le gouvernement cherche par tous les moyens possibles à substituer la propriété individuelle à ce régime collectiviste. La Douma, depuis de longs mois, discute un projet de réforme agraire qui aura pour effet d’introduire en Russie un régime foncier analogue au nôtre et de maintenir les mêmes terres dans les mêmes familles. Le ministre des Finances est le premier à pousser à l’accomplissement de cette évolution, qui mettra en face de lui des contribuables, de chacun desquels il pourra exiger le paiement des impôts, au lieu de communautés au sein desquelles les travailleurs doivent payer pour les paresseux et plient sous le faix d’une injuste solidarité.

Et c’est à l’heure où un immense empire reconnaît dans le régime communiste le plus formidable obstacle à tout progrès et fait des efforts vigoureux pour le modifier, que nous voudrions, par une série de lois insidieuses, nous y acheminer doucement ! Que l’on ne s’y trompe pas en effet. Il ne s’agit plus aujourd’hui de taxes fiscales. On feint de discuter le taux de l’impôt ; mais ce que l’on vise, c’est le capital, le capital petit ou grand, accumulé par l’épargne et que l’on veut briser à mesure qu’il se forme. On obtient aisément les votes d’un parlement docile, parce que d’abord la majorité de ceux qui approuvent ces taxes successorales ne les paieront pas et ensuite qu’on fait sonner bien haut les mots de « richesse acquise » pour justifier les incursions du fisc sur un domaine qu’on lui livre de plus en plus. Nous rappellerons à cet égard les paroles prophétiques de