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dans nos démocraties modernes, mais qui n’en apparaît pas moins dans les audacieuses théories de certains prétendus réformateurs. D’après eux, l’Etat posséderait un droit éminent sur la fortune des citoyens, absolument comme le seigneur de jadis, maître des terres, concédait la jouissance de certaines d’entre elles à ses vassaux, ou encore comme un monarque absolu, un tsar de Russie ou un padishah des Ottomans, se croyait et était en réalité naguère l’arbitre des biens de ses sujets autant que de leur vie.

Une des circonstances fameuses où cette idée s’affirma a été l’exposé du plan financier de sir William Harcourt dans son budget speech de 1894. Proposant aux Communes le remaniement de la législation fiscale anglaise en ce qui concerne les successions, le chancelier de l’Echiquier ne craignit pas de déclarer que, selon lui, lorsqu’un homme meurt, c’est l’Etat qui se saisit de ses biens et que ce n’est que par son bon plaisir que les héritiers les recueillent. C’est exactement le contraire de la théorie qui est à la base du droit de nos sociétés, et d’après laquelle le mort saisit le vif, c’est-à-dire que celui qui est appelé à succéder se trouve, à l’instant moine du décès, investi de la propriété des biens du défunt, en vertu de la loi.

Le dogme collectiviste ne permet à l’homme de jouir des fruits de son travail que de son vivant ; il ne lui reconnaît pas la faculté de disposer de ce qu’il a acquis ; il prétend subordonner le droit civil à l’arbitraire fiscal. C’est ainsi que, d’après un projet soumis à la Chambre des députés dont le mandat vient d’expirer, dans tous les cas où une succession ouverte en France et régie par la loi française comprendrait des fonds publics, actions, obligations, parts d’intérêt, créances et généralement des valeurs mobilières déposées ou existant à l’étranger, les héritiers, donataires et légataires ne pourraient se faire remettre lesdites valeurs qu’après avoir obtenu un envoi en possession spécial : ils perdraient toute vocation héréditaire et tout droit aux donations et legs portant sur ces mêmes valeurs, s’ils n’avaient pas fait leur déclaration dans les délais fixés. Faute par eux d’avoir accompli ces formalités en temps utile, l’envoi en possession serait prononcé au profit d’un autre successible, qui les aurait dénoncés au fisc et qui serait censé avoir succédé seul et immédiatement au défunt pour tous les biens et valeurs spécifiés dans l’exploit de mise en demeure s’unifie par le