Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/902

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maintenant de la richesse. Natures affinées, sculpteurs sur bois au début de leur civilisation et plus tard sur pierre, mais toujours riches de fantaisie, forgerons et orfèvres, ils travaillent remarquablement les métaux et savent les amalgamer savamment en des bronzes exquis pour en faire des cloches et des clochettes aux sons doux ou argentins. Ils adorent la vie de société et s’entassent volontiers dans des étages surpeuplés ; ils aiment le chant et la conversation, les goûters sur le bord des ruisseaux, dans l’ombre des antiques monastères, les viharas bouddhiques.

Le brahmanisme, en leur imposant les formes de sa société, la division de ses classes, leur a apporté ses innombrables fêtes rituelles, toujours accompagnées de réjouissances et d’offrandes que les brahmanes ne sauraient laisser tomber en désuétude. L’astrologue et les fêtes jouent un rôle prépondérant dans la vie népalaise ; les astres règlent la vie du foyer comme celle de l’Etat et l’horoscope des nouveau-nés calcule pour eux les dates favorables qui régleront leurs jours comme les dates néfastes qui devront tout interrompre. Les fêtes se multiplient et se prolongent de façon encombrante pour un peuple qui voudrait produire.

J’arrive justement au moment de la Dessera, pendant laquelle il ne m’eût pas été possible de monter au Népal, car, dix jours durant, personne ne travaillera. Les courses en dandi seront interrompues, ce qui gênera un peu mes excursions, et s’il m’arrive d’obtenir quelques bibelots ou bijoux, personne ne s’en dessaisira au cours de la fête, mais seulement lorsqu’on en aura bien joui et que peut-être l’argent manquera. La Dessera coïncide avec la récolte du riz transplanté ; au premier jour, les brahmanes sèment de l’orge en un « endroit pur et l’arrosent avec l’eau consacrée ; » au dixième jour, ils arrachent les jeunes pousses et en petits bouquets les remettent aux fidèles qui les paient en offrandes ; c’est alors que dans toute la vallée la moisson commence. Ce premier jour est aussi réservé aux étrennes, à la louée des serviteurs et à la répartition annuelle de tous les emplois, sauf celui du premier ministre qui, depuis Jang Bahadour, constitue un privilège pour sa famille. Le dernier jour, dans une grande réception, le Roi reçoit tous les fonctionnaires, nommés ou maintenus à leur poste, qui sont admis à lui présenter à lui, Adhiraja[1], leurs hommages avec leurs offrandes ; ils devront

  1. Ce titre de roi se trouve déjà mentionné au VIIe siècle et il est reconnu par l’empereur de Chine.