Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sachant pas que ce que les Gourkhas appelaient Liti étaient les Anglais répondit : « La Cour de Pékin n’a pas à s’occuper des querelles qui s’élèvent entre de si petits Etats. » Cependant, la Résidence anglaise de Katmandou fut attaquée. Le gouvernement des Indes, bien que n’ayant pas connu les offres de service faites à la Chine, exigea la démission de Ran Jang. Une révolution de palais et quelques massacres assurèrent, selon la tradition établie, la transmission des pouvoirs des Panré aux Thapa.

Alors émerge du fond de l’histoire d’Orient une des plus curieuses figures de despote asiatique. Voici Jang Rahadour. Il arrive les pieds dans le sang. De trois coups de fusil, devant le Roi et la Reine, il abat son oncle, premier ministre tombé en disgrâce pour n’avoir pas voulu faire périr l’héritier présomptif, selon l’ordre qu’il en avait reçu. Jang refuse à son tour d’exécuter les desseins de la Reine contre le prince héritier, tue à bout portant trois ministres, échappe à un complot en prenant les devans de la tuerie, fait fuir d’épouvante le Roi et la Reine qui se réfugient à Bénarès. Le prince héritier, proclamé roi, confère la grâce opérante du sceau rouge à Jang Bahadour. Il est nommé premier ministre en 1845.

Lassé très jeune de la caserne, bien qu’il eut obtenu de bonne heure un grade élevé, il s’était enfui pour aller visiter les Indes. Ramené au Népal par sa famille, il parcourait le pays en observateur, s’initiait aux coutumes, au langage de toutes les races. C’était un homme d’entreprise. On cite de lui vingt traits d’audace. Un jour, un éléphant furieux jetait l’effroi dans Katmandou ; Jang monte sur un toit, se laisse glisser sur le dos de l’animal, l’aveugle avec une étoffe et le maîtrise. Un autre jour, il traversait à cheval une passerelle de deux planches jetée au-dessus d’un ravin au fond duquel coulait un torrent rapide. Arrivé au milieu, le prince héritier, en compagnie duquel il chevauchait, le rappelle. L’appel d’un maniaque sanguinaire valait un ordre. Jang fait faire volte-face à sa monture d’un seul bond, et rejoint la rive. Il pouvait faire à cheval, dit le docteur Gustave Lebon, qui visita le Népal en 1885, peu de temps après sa mort, 165 kilomètres en seize heures. Dans un pays escarpé et sans routes, cela représente une chevauchée invraisemblable. « Il coupait une panthère en deux, d’un coup de sabre, et débarrassait lui-même de leur tête, sans phrase inutile,